Prétendre, toujours prétendre. La vie d’Aladdin ne lui semblait désormais plus faite que de faux semblants, il prenait sur lui pour plaire. Plaire à un père qui voyait finalement en lui un fils, plaire à un peuple qui ne verrait jamais en lui que le bâtard qu’il était. Une erreur de parcours du roi, un parvenu, pas un vrai héritier royal, pas un de ceux qui méritaient le respect. Jasmine était la seule personne avec qui il pouvait être lui-même, avec qui il pouvait se plaindre du traitement injuste qu’il lui était réservé. Se plaindre de ces soi-disant frère et sœur dont il avait hérité, le clown, qui ne pensait jamais qu’à se divertir, et la femme de glace, qui ferait sûrement le pire dirigeant que Nighon n’ait jamais connu. Aucun de ces deux imposteurs ne méritaient d’hériter du titre de leur père, lui seul en était digne, lui seul prouvait jour après jour qu’il avait l’étoffe d’un dirigeant, d’un leader. Alors qu’il parcourait les dédales de Shadowspire, il tomba nez à nez avec Flynn, qui, à en juger par les traits froncés, ne passait lui non plus, pas à une bonne journée. « C’est quoi cet air tout triste, mon frère ? » Un sourire goguenard fit son apparition sur ses lèvres alors qu’il prononçait ces derniers mots, il savait que par-dessus-tout, Flynn ne supportait pas la trahison de son père à l’égard de sa mère. Trahison dont Aladdin en était la représentation même, un soi-disant frère qu’il ne serait jamais capable d’accepter, encore moins de le considérer en tant que tel. De longs mois durant, Aladdin avait essayé de se faire accepter par cette sœur, par ce frère, là aussi il avait prétendu, là aussi il avait fait des efforts, mais plus le temps passait, plus il se résignait, moins ses efforts étaient visibles. Ils n’étaient pas dupes, ni l’un, ni l’autre. S’efforcer à jouer un rôle qu’il endossait bien trop souvent paraissait donc complètement futile et, depuis quelques temps, à l’abri des regards, il n’hésitait plus à dévoiler sa vraie nature. « Laisse-moi deviner. » poursuivit-t-il, avant de reprendre après deux secondes de réflexion, tout au plus. « Tu avais oublié ton déguisement de bouffon du roi, du coup ton pauvre petit spectacle de magie n’a impressionné personne. » Si tout le monde ou presque s’accordait à dire que les spectacles de Flynn à Oqitara, son œuvre, comme il l’appelait, étaient époustouflants, Aladdin n’y était absolument pas sensible. Et pour cause, la magie théorique dont il était doté lui permettait d’anticiper la plupart des illusions et subterfuges que Flynn utilisait pour épater la galerie. Il y avait bien de temps en temps quelques sorts qui le prenaient au dépourvu, mais d’une manière globale, il considérait le travail de Flynn (et de tous les illusionnistes) comme de la poudre aux yeux, un divertissement pour les non-initiés à la magie, pour les amateurs. Une perte de temps, tout simplement, une bassesse à laquelle un prince digne de ce nom ne devrait pas prendre part. Une moue compatissante s’afficha sur son visage alors qu’il plongeait ses yeux dans ceux de Flynn. A deux doigts de poser sa main sur l’épaule de son demi-frère, il se ravisa finalement pour éviter de prendre la sienne en pleine tête. « Je suis sincèrement désolé, ça doit être un coup dur, surtout après ce que ta sœur a dit à ton propos hier soir. » Hier soir ? Bianca n’avait absolument rien dit, comme les soirs précédents d’ailleurs. Mais les bruits de couloirs, les rumeurs étaient ses illusions à lui, le moyen qu’il avait choisi pour tenter de monter l’un contre l’autre un frère et une sœur qui n’avait en commun que leur sang et l’aversion qu’il lui portait à lui. De cette manière, et uniquement de cette manière, Aladdin estimait pouvoir les faire tomber, l’un comme l’autre, leur ravir le trône et leur réserver ce que l’un comme l’autre, méritaient : une vie misérable.

Spoiler:

Le retour à Nighon était amer. D’un pas lourd et déterminé, Flynn redécouvrait les allées sombres du domaine familial. Une forteresse qui, de par la simple odeur qu’elle dégageait, suffisait à faire frémir le maître d’Oqitara. Pas qu’il exècre l’endroit, mais il n’avait considéré le château plus que comme un toit sous lequel dormir. Les longues journées, enfermées dans une chambre parce que trop jeune pour s’aventurer seul à l’extérieur. Ces après-midi entière à assister aux réunions politiques menées par le roi, tout cela parce qu’il était un prince avant d’être un enfant. Sous l’autorité inébranlable d’un père bien trop militaire et bien peu aimant, Flynn n’avait jamais espéré plus qu’une maigre intention de sa part.  En vain. Ajouter à cela la trahison à l’égard de son épouse, et le rejeton qu’il en a récolté. Le combo parfait pour qu’un fils puisse haïr son père. Loin d’être enchanté à l’idée de remettre les pieds sur ses terres natales, la présence de Flynn n’était motivée que par l’espoir de pouvoir retrouver sa mère, la seule capable de calmer ses émois. La soirée avait été infernale, et c’est le coeur lourd que le prince était revenu de sa rencontre avec Aureen. D’ordinaire, on aurait pu déceler quelques étoiles au creux de ses prunelles. Ce soir, c’est le regard vide et l’âme en peine qu’il parcourait les dédales de Shadowspire. Une voix eut le mérite de le sortir de ses songes un instant, et s’il lui fallu quelques seconde de réflexion pour reconnaître son propriétaire, Flynn leva les yeux au ciel lorsque ceux-ci se posèrent sur le bâtard de la famille. — Pas maintenant Aladdin. Le ton était étrangement calme compte tenu de l’agacement palpable qui régnait chaque fois qu’ils étaient amenés à se voir. Le gosse, comme il s’amusait à l’appeler, n’avait jamais récolté plus qu’une virulente animosité de la part du reste des siens. De toute évidence, il représentait tout ce que le second fils du roi pouvait exécrer. Et l’expression goguenard avec lequel il l’accueillait en disait long quand à son intention de ruiner un peu plus encore sa journée (si cela était encore possible). Le mot qu’il employa pour le qualifier le fit grimacer. « Frère », comme s’il pouvait considérer l’espace d’une seconde qu’il appartenait à leur famille. Un mince sourire étira en un coin la commissure de ses lèvres sans qu’il ne prenne la peine de relever la remarque. Aladdin n’attendait que ça. Roi de la provocation, il ne loupait pas une occasion pour venir tailler les héritiers de Nighon. S’il avait eu l’intention de sagement contourner son interlocuteur en l’ignorant superbement, Flynn fût contraint de se stopper net. — Nous y voilà… Qu’il souffla en jetant un rapide coup d’oeil à Aladdin par dessus son épaule. La réflexion à propos d’Oqitara serait un excellent prétexte pour justifier la nouvelle déclaration de guerre entre les deux demi frères. Aladdin n’avait jamais été partisans de sa magie, et prenait toujours un malin plaisir à le lui rappeler. Pour cet homme dont le seul talent était de pratiquer de la magie dite théorique, Flynn avait toujours considéré cela comme de la jalousie. Sourire mutin accroché aux lèvres et rage dans le regard, il poussa un long soupire avant de se retourner vers son cadet. — Tu ne peux pas t’en empêcher n’est-ce pas ? Et après ça va pleurer dans son coin parce que personne ne l’aime. Il crachait le venin avec toute la rancoeur qui pesait sur ses épaules. Ses pas vifs ne tardèrent pas à venir le coller juste devant lui, et ses mains à attraper le bâtard de Nighon par le col. Evidemment, la réaction lui donnerait entière satisfaction. Puisqu’à ne pas en douter, c’est exactement ce qu’Aladdin recherchait. Fatigué mais loin d’être dupe, Flynn hésita un instant, dévisageant des pieds à la tête celui qui se faisait passer pour un membre de la famille royale, et fini par le repousser violemment. — T’es pitoyable, mon frère. Le sourire avait disparu, laissant place à un faciès crispé, et visiblement épuisé. Il se passa machinalement une main sur le visage, effaçant le peu de sentiments qu’il avait eu le privilège d’offrir en spectacle au bâtard. La réflexion à propos de Bianca n’eut cependant pas la réaction escomptée : si d’ordinaire Flynn se serait volontiers rendu auprès de sa soeur pour plus d’explications, il se contenta ici d’hausser les épaules en venant s’adosser contre un mur. — Et toi tu crois vraiment que ça m’intéresse de savoir ce que Princesse B. pense de moi ? J’ai d’autres préoccupations, mais je t’en prie, continue. Ça aura le mérite de me distraire un peu. D’un revers de la main, il l’incita à continuer. L’en fallait peu pour faire rugir le lion qui sommeillait en lui aujourd’hui. Si Aladdin était plus intelligent qu’il ne le pensait, il prendrait la fuite. Au pire, cela terminerait comme à chaque rencontre depuis leur enfance : par les mains.

Le pas maintenant de Flynn était une invitation ouverte à poursuivre. Il embrasait l’esprit de contradiction qu’Aladdin adoptait dès lors qu’il s’agissait de ce demi-frère ou de cette demi-soeur qu’il ne supportait pas, qu’il exécrait. Ils le voyaient comme un arriviste, comme quelqu’un qui ne méritait pas sa nouvelle place alors que, justement des trois, il était le seul qui avait dû se battre pour en arriver là, le seul qui avait dû faire ses preuves. Eux, tout leur avait été donné depuis leur plus jeune âge. Des enfants gâtés, voilà ce qu’il était, encore aujourd’hui malgré l’âge adulte largement atteint. Ils n’avaient jamais eu à se battre pour quoique ce soit et se trouvaient aujourd’hui pour la première fois en difficulté alors qu’un outsider, lui, venait menacer leur sacrée sainte position. « Hmmm si, maintenant. » Le sourire était narquois et Aladdin se réjouissait à l’avance de pouvoir tourmenter Flynn ne serait-ce que durant deux petites minutes. Il ne faisait après tout que lui renvoyer l’ascenceur, Flynn et Bianca avaient été particulièrement malveillants depuis son arrivée dans cette dite famille. Pendant longtemps, Aladdin avait pris sur lui, mais depuis quelques temps, il avait décidé de ne plus se laisser faire et profiter de la moindre occasion pour, à son tour, tenter de rendre leur vie un peu plus misérable chaque jour. Sa technique favorite ? Se moquer ouvertement d’Oqitara, la soi-disant grande oeuvre de Flynn, l’exposition de ses talents magiques, la toile de ses illusions. Si tout le monde s’accordait à dire qu’il avait un talent certain, Aladdin, lui, n’était pas un grand adepte de toutes ces fantaisies, ces tromperies, ces mensonges, ces impostures. Flynn passait son temps à amuser la plèbe pendant que lui faisait le vrai travail d’un prince. Il veillait à l’avenir de Nighon, lui, le bâtard. Le véritable hériter de son père. Ce n’était pas un clown qui passait la majorité de son temps à vouloir divertir les gens ou une femme froide trop occupée à subir ses propres insécurités qui pourraient contribuer à la pérennité de Nighon, non, lui seul le pouvait. De Nighon et de bien plus. La tentative d’attaque de Flynn arracha un sourire à Aladdin. D’eux trois, Bianca était celle qui redoutait de ne pas être aimée, pas lui. « T’en fais pas pour moi, j’ai une compagne ravissante qui m’aime éperdument. Et toi, qui t’aimes Flynn ? Est-ce que tu penses que les gens t’aimes toi, ou tes illusions ? Des relations éphémères, personne à tes côtés de manière durable, la réponse me semble assez limpide. » De ce dont il avait été témoin, personne ne restait jamais bien longtemps dans la vie de Flynn. Aucune femme ne semblait rester dans le paysage plus d’une semaine. Comment les blâmer, quelle personne sensée pourrait vouloir rester avec quelqu’un si éloigné de la réalité, dans son monde, dans ses illusions. Un grand enfant qui vivait toujours, à l’âge adulte, dans le monde imaginaire qu’il s’était forgé lorsqu’il était petit. Ce qui était sûrement mignon à l’époque était désormais devenu pathétique. Les paroles d’Aladdin semblaient avoir touché un mot sensible puisque Flynn ne tarda pas à venir le saisir par le col. Aladdin n’attendait que cela, qu’il dérape, le sourire en coin qu’il arborait en était la preuve. Mais, de manière surprenante, son frère ne se laissa pas aveugler par la colère et le relâcha après quelques secondes. Un épilogue décevant qu’Aladdin tenta d’altérer par de nouvelles provocations. « Je vois que comme le reste chez toi, ton numéro de gros dur n’est qu’une illusion. Ta soeur a plus de couilles que toi. » Si le gabarit de Flynn était bien plus imposant que celui d’Aladdin, ce dernier avait l’avantage d’être un soldat et d’avoir été formé à se battre, là où la formation de son frère était basée sur le paraître. Il voulait voir où était ses limites, découvrir quels étaient les points sensibles qui le feraient sortir de ses gonds, apprendre à manipuler ses humeurs. Le sujet Bianca, quant à lui, semblait bien moins délicat qu’Oqitara et fut malheureusement accueilli avec plus ou moins d’indifférence. « Si ça t’intéresse, je ne sais pas. Mais ça ne doit jamais être agréable d’entendre sa soeur dire que l’on ait une honte pour la dynastie que représente la famille. » Les mots étaient ceux d’Aladdin mais il était persuadé qu’ils auraient pu être ceux d’une bonne partie de la cour de royale, il ne pouvait pas être le seul à voir Flynn pour ce qu’il était réellement : le bouffon du roi.