Belle ne sait tempérer sa vexation face aux agissements de son époux - qui a fait de sa paranoïa une seconde couronne - et lui reproche sa récente réticence à partager ses projets quant à l'avenir du royaume. C'est sans compter les décisions qu'il croit bon prendre sans la consulter au préalable alors même qu'elle aurait deux-trois remarques à faire quant à sa manière de gouverner. Et parce que la priver d'Adam n'est pas peine assez rude, son bon époux lui impose la présence d'une nouvelle dame de compagnie qui n'éveille en elle que jalousie et ressentiment. Une disposition inconvenante, sentence qu'elle tentera de commuer si tant est que le seigneur de Kozakura soit prédisposé à lui prêter une oreille attentive. — Cette conversation n'est pas terminée, Gasten, s'insurge-t-elle, tandis qu'il l'abandonne à cette frustration pénible qu'elle ne laisse ressortir qu'en privé et dont il est souvent unique témoin. Il quitte le palais sans donner plus de détails quant à la nature de son absence ni à sa durée, laissant Belle seule, ou presque. Elle sait qu'elle peut compter sur la psychose fidèle de son époux qui n'aura pas hésité à confier à ses sbires la tâche ardue qu'est de chaperonner une femme qui ne manque pas de ressource pour s'attirer les faveurs de tout un chacun, et échapper à la vigilance d'autrui. Une prudence qui, chez Belle, porte le traître nom de blasphème. Un énième outrage qu'elle ne manquera pas de lui reprocher dès son retour alors qu'on l'escorte jusque dans les couloirs, vers des quartiers qu'elle n'investira pas. Sans surprise, elle parvient à se délester de sa garde rapprochée, ses pas la guidant désormais jusqu'à la bibliothèque, lieu sacré où il est coutume de ne jamais l'importuner. Un message que tous n'ont pas l'air d'avoir saisi, car la porte s'ouvre à la volée, et Belle manque de perdre son équilibre lorsqu'elle devine l'identité de la personne en face. — Qu'est-ce que- L'ouvrage qu'elle était occupée à consulter lui échappe des mains, une maladresse qu'elle ne condamne pas dans l'immédiat, car ébranlée par l'arrivée de la silhouette familière qui referme la porte. Acculée à la reddition, elle n'a d'autre choix que de considérer l'homme qui se tient plus près d'elle qu'il ne l'a été depuis si longtemps. Près des yeux, toujours trop près du cœur. Adam, honni par la cour royale ; Belle, forcée d'assister aux humiliations répétées de l'être cher tandis que son sang bouillonne ; demi-lunes marquées sur la paume, lèvres légèrement pincées pour se forcer à ne pas céder à l'impétuosité d'un mouvement ou d'une objection qui viendra exposer sa dévotion à un autre que son mari, compromettre son statut de souveraine fidèle. Un bras tendu vers Adam pour le dissuader de réduire la distance entre leurs deux corps. Le sien, tremblant de peur et d'exultation. — Si on te trouve ici... Lui manque le courage de mettre des mots sur cette triste vérité les assujettissant à une torture émotionnelle, un supplice physique : si la nouvelle de la réunion des deux amants venait à se répandre au sein du palais, les conséquences ne sauraient être que funestes. Une supposition qui voudrait que Belle mette fin à ces retrouvailles pour leur éviter châtiment plus tragique que celui qui les oppresse actuellement, or cette rationalité dont elle se targue au quotidien lui semble impossible à invoquer face à Adam. Son regard, s'acquittant difficilement du visage de son amant, inspecte les environs en quête du moindre signe qui révélerait la présence de personnalités indésirables sur les lieux. Car si la conduite peu princière de Gasten n'incline pas souvent à la confiance, la crainte qu'il inspire toutefois saura infléchir ses sujets, et délier les langues même les plus réticentes ; afin de prouver leur allégeance, nourrie davantage par l'appréhension que par le respect légitime qu'il estime posséder. Un respect que Belle, de son côté, a su obtenir par le biais de son tempérament avenant ; une confiance certaine qui ne fait pas le poids face à la peur que son époux imprime dans les cœurs. — Tu n'as donc aucune considération pour ta propre vie ? Ou pour tous les moyens mis en œuvre par Belle afin de le protéger de sa bêtise - qu'elle saura éventuellement lui pardonner. Et si son existence lui est précieuse, Belle se refuse d'imaginer un instant que Gasten oserait ordonner son exécution, certainement pas quand celle de son amant ferait montre de plus de cruauté ; une sanction plus terrible encore que sa propre fin. Aussi parvient-elle difficilement à contenir cette petite ire qui sourd de tout son être lorsque les agissements d'Adam n'ont pour effet que de pourfendre son destin en recherchant la présence de celle qui lui échappe chaque jour un peu plus. — Pourquoi, Adam ? Pourquoi prendre tant de risque ? Ils se sont crus intouchables une fois, ont bravé prudence, risqué la providence pour s'abreuver d'instants volés. Une bravoure qui leur aura coûté, un manque de discernement qui la prive aujourd'hui des bras de l'homme pour qui son palpitant n'aura cessé de battre malgré la distance imposée. Une règle faite loi qu'elle était disposée à appliquer pour le préserver de futures souffrances.