Trop. Trop d’horreurs, trop de cruauté. Trop de sang et de morts, trop d’agonisants et de désespérés. Ses yeux ne parviennent plus à quitter le corps toujours fumant mais sans vie d’Ackerman. Berthold se dresse devant elle comme un rempart à toutes ces visions cauchemardesques qui se dessinent inlassablement devant elle. Hébétée, choquée, épuisée et vacillante, ses ressources sont vidées. Plus d’énergie ni de magie à dépenser pour celle qui s’est promis de défendre envers et contre tout la princesse Aureen d’Erendieren, qui, avant même d’être princesse, incarne une sœur, la plus précieuse de ses amis. Son regard la cherche mais ne la trouve pas ; bientôt, les bruits d’une nouvelle bataille atteignent ses oreilles. La protectrice se raidit, répète avec plus de force : « Où est Aureen ? » La panique fait emballer le cœur, et alors que l’une des accompagnatrices de Berthold hurle la princesse ! défendez la princesse !, il lui parait qu’une explosion dévaste sa poitrine. Le roi de Nighon se tient à seulement quelques mètres d’eux accompagné d’un escadron, et de nouveaux survivants d’Erendieren sont apparus pour tenter de réaliser l’impossible. Son ami l’aide à la porter devant Aureen au sol. Ses propres genoux s’effondrent sous le choc d’une telle vision ; les larmes, encore, ruissellent sur ses joues. Le sang s’échappe de la plaie de sa lumineuse amie si abondamment qu’il est certain qu’elle ne s’en sortira pas. « Aureen, non… Je suis désolée… » Elle a failli. Le corps tout entier se voûte sous l'immense poids du plus cuisant des échecs. Elle ne peut pas mourir. Elle n’a pas le droit. Ses mains s’accrochent désespérément à celle que la princesse garde près d’elle, couvrant cette dernière de larmes incontrôlables. C’est trop, encore, au point qu’il n’y ait plus que ses propres plaintes et les mots d’Aureen qu’elle perçoive encore. « Je suis désolée, je suis désolée, » qu’elle répète encore. Penny tente désespérément de prodiguer des soins à l’ultime lumière d’Erendieren, puisant dans des ressources qu’elle n’a plus comme si sa propre vie en dépendait. Mais rien de ce qu’elle pourra donner ne serait en mesure de la sauver. « AIDEZ-NOUS ! UN GUERISSEUR ! » Aureen, par ses mots, tente de la rassurer. Pas ta faute. Vivre pour toi. Une nouvelle vague de douleur la submerge alors que tout sonne comme les derniers instants de la princesse. La question que celle-ci lui a posée dans les premiers instants du massacre lui revient : quelle vie ? Une vie de souffrances, une vie dans laquelle tout ce qu’elle a tant chéri n’est plus ? Où tous ceux qu’elle a aimés plus que sa propre famille ont été emportés par l’horreur ? « Je ne partirai pas sans toi. Ne me laisse pas Aureen. Pas toi. » Ce malgré que l’ennemi s’organise pour revenir à la charge après avoir mis à l’abri son roi, que le bruit d’épées s’entrechoquant résonne encore et que les sorts crépitent tout autour du groupe. L’une de ses mains refuse de lâcher la sienne tandis que l’autre caresse une ultime fois le visage de la princesse. Et alors que tous autour d’elles ne peuvent que faire face à l’inévitable mort d’Aureen, Penny est incapable d’abandonner. « Nous allons t’emporter avec nous et te trouver un guérisseur. Tiens bon Aureen, je t’en prie. » C’est trop, toujours. La scène de torture d’Ackerman lui a fait perdre la raison, elle ne peut accepter que son amie la plus précieuse en paie le prix. Le sort ne saurait être plus cruel qu’en cet instant ; il s’acharne encore quand Berthold la force à se redresser, l’attrape par la taille trop fermement pour qu’elle puisse s’en extirper. « Non ! Lâche-moi ! Aureen ! AUREEN ! » Celle-ci donne l’ordre du départ et sans qu’elle ne puisse rien faire d’autre qu’hurler sa douleur et pleurer sur son ami, on l’arrache à sa princesse.

Elle tenta de garder un sourire et un regard fixe pour Penny, mais bientôt, Penny n’était plus là. Elle disparut dans la foule sur un regard dont elle se souviendrait et des hurlements que, rendue sourde par une douleur abominable, Aureen n’entendit pas. Elle sombra alors qu’on l’emportait sur les marches de Whitehaven, transportée aux yeux de tous par un magicien de l’air, semant les goutes de sang royal sur les pavés d’ Erendieren comme pour une chasse au trésor ; et quel trésor. Sur ordre du roi, on s’occupa de lui enlever son chaperon maculé de rouge vif et tiède, ainsi que les bijoux qu’elle portait ; des souvenirs funestes d’une escapade couronnée de succès et les témoins de tout ce qu’un père-despote était capable de mettre en oeuvre pour discipliner son fils désobéissant. Exposée en butin et en exemple à la vue de tous, salie par les regards, les ricanements de hyènes de ses meurtriers et la poussière, Aureen, dont le coeur s’entêtait à vouloir battre malgré que tout le reste ne puisse plus suivre, toussa par trois fois avant de fermer les yeux et d’attendre péniblement que toutes les douleurs venues l’étreindre ne se lassent d’elle. Son propre sang ruisselait le long de sa nuque, sur ses lourdes boucles blondes, ses bras, séchait à ses coudes et autour de ses genoux. Elle s’accorda une pensée paisible au milieu du chaos, pour toutes les personnes qu’elle avait aimé en ce monde et qu’elle semblait vouée à quitter ce soir, dans le noir et l'indifférence. Paisible, elle avait au moins l’air de l’être. On décréta qu’elle était morte, alors même que son palpitant crépitait encore sous sa poitrine, et bientôt, sous une paume tiède. Le contact de peau à peau la laissa de marbre, mais celui qui s’était obstiné à ramper vers elle malgré les trop nombreuses plaies et les os brisés, su qu’il venait de trouver un coeur battant.    “ Trésor, hey. ”  L’on aurait dit que l’effort venait de le tuer pour de bon, mais même les assauts et les tortures ne pouvaient décemment pas venir à bout d’un roi aussi grand que Selwyn d’Erendieren. Pourtant il ne restait de lui presque rien du roi, mais juste assez du père prêt à se surpasser pour sa fille chérie.   “ Ça va aller.  ”  Son souffle laborieux vint caresser la peau de sa joue, avant qu’il n’y dépose un dernier baiser, et fasse glisser une main bienfaitrice à l’endroit même où la coupure, trop profonde, assurait à son trésor un décès long et douloureux.   “ Papa est là.  ”  L’on savait avant tout que Selwyn était un roi,  mais il était aussi un guérisseur, comme tous les royaux d’Erendieren à une exception près. Sous sa main, la plaie se résorba juste assez pour apaiser sa fille, mais pas assez pour rendre immédiatement à son teint ses couleurs, la soustraire à son profond sommeil, ou ne serait-ce qu’alerter les gardes. Juste assez pour qu’il ne plonge à son tour dans son repos éternel, le visage dans les cheveux d’Aureen.


[ king pan of nemeree x prince john of nemeree ]

  “ Pourquoi ?  ”  John lui lança un regard dont il aurait eu honte, s’il n’avait pas été si satisfait du succès et de la beauté de son ouvrage. Il offrit en réponse un regard glacial à son frère, accompagné d’un rictus sinistre.  “ Parce que. ”  Il n’y avait aucun motif qui puisse justifier pareil carnage, si ce n’est qu’il avait viscéralement besoin d’asseoir un pouvoir que personne n’osait de toute façon contester. Cela ferait un argument de plus. Il n’avait de toute façon pas à se justifier, au nom de la couronne qu’il portait. Une fleur, une faveur, c’est tout ce à quoi John aurait droit en ce jour, et une mauvaise attitude pourrait aisément lui coûter que Pan change d’avis et le prive d’organiser des funérailles descente pour la princesse-cadavre dans ses bras. Aureen confortablement blottie dans son étreinte de plus en plus ferme et un chagrin brutal sur les traits, John n’eut à coeur que de renifler son aversion naissante, mais déjà profonde, pour l’homme que Pan était devenu. Lui-même ne pouvait contester l’autorité de son frère, et il était de toute façon trop tard. Peut-être pas pour Aureen, dont le faible souffle caressa sa nuque et provoqua qu’il resserre davantage son étreinte autour d’elle, mais pour un peuple qu’aucun homme doué d’une âme n’aurait pu renverser de la sorte. Mais Pan n’avait plus d’âme, et s’il s’en était douté, tenir dans ses bras leur amie d’enfance au milieu du chaos lui en apporta la confirmation.