we spin slowly 'til morning

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Now I'm confiding, know I may have
Gone through the motions my whole life
I hope this is the first day
That I connect motion to feeling
We spin slowly, we spin slowly 'til morning.
@victoria grey

On ne l'avait jamais vu si nerveux, peut-être parce que Lancelot n'était pas réputé pour perdre aisément son sang-froid. Son humeur égale, ponctuée de rires malicieux, de regards brillants, était son fonctionnement par défaut, si bien qu'il n'était pas sûr de savoir quoi faire de ses bras ballants le long de son corps alors qu'il attendait qu'on le laisse entrer dans l'une des salles du château de Neverwinter. Convocation de la princesse Bianca de Nighon. La surprise était totale, compte tenu du fait que leurs échanges se faisaient généralement sous le couvert de la nuit, donc du secret, et qu'elle ne s'était jamais officiellement adressée à lui en public, encore moins par le biais d'une lettre solennellement remise quelques heures plus tôt par l'un de ses gardes à l'auberge où il trouvait résidence. Surpris, donc, mais pas au point de ne pas avoir une vague idée de la raison de cette convocation. Le souvenir de sa conversation avec Guinevere le hantait plus qu'il ne voulait bien l'admettre – plus qu'il ne l'admettrait jamais à n'importe qui – pour tout ce qu'elle représentait : une trahison, sur le fond autant que sur la forme, peu importe comment il tentait de voir les choses, peu importe qu'il essayât de trouver des circonstances atténuantes. Il n'y en avait aucune, certainement pas quand elle était prête à mettre la vie de celui qu'elle avait l'audace d'appeler ami en jeu au nom d'une vendetta ridicule. Elle s'était laissée dépasser par son goût de vengeance, s'était laissée déborder par l'enjeu de la situation, mais ce qu'il aurait été prêt à entendre, peut-être même à accepter dans d'autres circonstances, se heurtait aujourd'hui au refus net de Lancelot d'accorder la moindre pitié à cette femme. Le regard sombre, les doigts pianotant sur son genou tandis qu'il patientait sur l'un des fauteuils rembourrés de velours du château, la porte à laquelle il faisait face s'ouvrit lourdement pour laisser entrevoir un garde. Celui-ci désigna Lancelot d'un bref signe de tête, et l'enjoignit à le suivre. Lancelot s'exécuta, non sans appréhension, son état d'esprit à des années lumières de ce qu'une entrevue avec la princesse générait le plus souvent en lui. Il passa le pas de la porte et se retrouva face à Bianca, dont l'innocence des lourdes boucles tranchait avec la froideur de son regard. Elle fit signe à son garde de disposer, et s'il hésita manifestement quelques secondes à la laisser seule, sans personne pour s'assurer de sa sécurité, il finit par obtempérer devant son regard insistant pour ne plus laisser qu'elle et lui dans la pièce. Lancelot retarda l'échéance en laissant ses yeux se promener sur ce qu'il découvrit être un salon richement décoré, au fond duquel crépitait un feu réchauffant l'atmosphère. Si les habitants de Frostväll n'avaient de toute évidence que peu de problèmes avec le froid, il n'en allait pas de même pour les étrangers, et Lancelot se surprit à frissonner, avant de se rapprocher instinctivement du feu. « Vous m'avez convoqué, Princesse ? » Dans une telle situation, il laissa de côté toute plaisanterie au goût douteux, tout flirt malicieux, ne se permis même plus la familiarité à laquelle il l'avait habituée jusqu'à présent. Ici, il connaissait sa place et elle n'était pas celle d'un homme susceptible de la confronter d'égal à égal. Le visage grave, il se tourna pour lui faire face, et tenter de déceler dans son regard un début de réponse auquel se raccrocher. Bianca non plus ne semblait pas d'humeur à goûter à la moindre plaisanterie, ses traits généralement mutins remplacés par la détermination dans ses yeux. Lancelot se risqua malgré tout à une tentative plus maladroite qu'on ne lui connaissait d'ordinaire. « Il me semblait que vous préfériez un peu d'anonymat pour nos... entrevues. » Après tout, il était de notoriété commune qu'une alliance entre Nighon et Frostväll était en cours de négociation, et donc qu'elle serait – si elle ne l'était déjà – sans doute bientôt fiancée à Jack. Pour tout ce que l'on pouvait encore en dire, Evermore restait une terre où les femmes n'étaient guère logées à la même enseigne, et il doutait qu'elle soit prête à prendre le risque de révéler ses aventures aux yeux de tous alors même que l'enjeu était aussi important. Elle restait étonnamment silencieuse, elle qui généralement remplissait chaque pièce de ses badinages, de ses piques, de sa mauvaise foi. « Bianca ? » appela-t-il doucement avant de s'approcher d'elle. « Très bien, je t'écoute. De toute évidence tu as un problème et je serais curieux de savoir ce dont il s'agit, sans quoi une chope d'hydromel à l'auberge sera ma prochaine destination. »

Alanguie au milieu de sa montagne d’édredons et de coussins, Bianca n’avait pas, ce matin, le teint frais arrosé par le sommeil réparateur dont elle venait de se réveiller. Alors qu’elle se mordillait le bout des doigts d’un main, elle chassa d’un revers de la main la domestique qui venait d’entrer dans sa chambre – visiblement autant surprise qu’elle de la retrouver si préoccupée de bon matin. Elle avait reçu l’information comme un soufflet, et vraiment elle ne savait pas trop quoi en faire. Elle s’était laissée la nuit pour y réfléchir et ce matin lui apportait la confirmation de ce qu’elle craignait – il fallait qu’elle le confronte. A trop regarder par-dessus son épaule droite pour vérifier les agissements d’Aladdin, elle avait oublié de s’intéresser à ce qu’il se passait de l’autre côté. Elle se savait enviée, décriée et sans doute menacée, mais dans le confort de sa chambre, elle ne se s’était jamais sentie en danger. Imaginer un instant qu’elle avait pu laisser entrer le danger jusque dans son intimité la mettait dans une colère froide. Elle n’avait jamais considéré de ses amants puissent être des traîtres même si elle devait reconnaître qu’elle les choisissait plus pour leur beauté que pour leur loyauté. Qu’importe, la princesse aimait sa vie de plaisir et d’objets brillants et elle n’acceptait pas qu’on vienne perturber son domaine avec les problèmes de la couronne. Enfin, elle se glissa hors de son lit et enfila ses pantoufles pour tourner encore un peu dans la pièce, cheveux lâchés et robe de chambre sur les épaules. Un soupir lui souleva la poitrine, elle était déçue de se voir confisquer un partenaire aussi agréable que Lancelot. Elle pourrait attendre le soir et le confronter aux rumeurs que son miroir lui avait glissé à l’oreille. Elle y songea, un instant. Mais Bianca avait brusquement conscience du risque et décida de mettre les formes. Elle se sentait lésée, bien trop blessée dans son égo pour laisser passer la brimade. Qui était-elle pour le laisser lui, alors qu’elle laissait déjà l’accès à ses draps, menacer en plus sa sécurité et son pouvoir. En quelques minutes, une agitation feutrée traversa les couloirs de la forteresse de Neverwinter. Si elle mettait les formes, messager officiel et sceau de la princesse en bas de la lettre, elle ne voulait pas trop attirer l’attention de ses hôtes et en plus de ça mettre à mal les projets de fiançailles qui allaient bon train depuis son arrivé à Neverwinter. Et tandis qu’elle enfilait ses vêtements à l’aide de la domestique auparavant congédiée, un de ses gardes partait à la rencontre de Lancelot. Elle avait beau ne pas être une stratège ni une future souveraine très intéressée, elle avait depuis l’enfance intégrer une autorité naturelle liée à son rang et elle en découvrait l’utilité un peu plus chaque jour. Quand elle estima être prête, elle autorisa d’un signe de tête à ce qu’on fasse entrer Lancelot. Le voir entrer ne fit que la tendre davantage, elle ne craignait pas les confrontations mais rechignait à ce mélange des genres. Elle refusa la présence d’un garde non seulement parce qu’elle ne voulait pas que la conversation s’ébruite mais d’autant plus parce qu’elle ne voyait pas en quoi elle risquait plus un couteau dans le dos maintenant que lors de toutes les nuits où Lancelot avait eu le temps de le faire. La remarque de Lancelot ne la dérida pas, au contraire. Quelque part, sa présence à Fröstvall avait quelque chose de plaisant et avoir à faire face à une trahison de sa part venait franchement jeter une ombre sur ses projets. Si elle avait tant tenu à lui rappeler à qui il avait affaire, la familiarité de Lancelot termina de briser la patience de la princesse. « Fais un pas et je te fais jeter derrière les barreaux. C’est bien clair ? » La légèreté de Lancelot, qui faisait souvent bon écho au propre détachement de Bianca, venait s’écraser devant des préoccupations qui dépassaient largement le cadre habituel de leurs rencontres nocturnes. Elle pointa un doigt accusateur dans sa direction. « Tu n’es pas détestable, et je t’accorde le bénéfice du doute, mais n’épuise pas ma patience. » Du plat de la main, elle lissa le tissu de sa jupe pour reprendre un peu de contenance. « On m’a rapporté des informations fâcheuses sur tes intentions à mon égard. Et j’aimerai autant qu’on règle ça entre nous. Qui t’envoies ? C’est cette chose de demi-frère qui t’as chargé de faire le sale boulot ? » Si elle devait imaginer quelqu’un en vouloir à sa vie, immédiatement elle pensait au petit dernier mais elle était ouverte aux propositions et elle avait tout le temps du monde pour arracher la moindre information à Lancelot.

La froideur de Bianca contrastait violemment avec tout ce qu'il connaissait d'elle – au moins jusqu'à cet instant précis. A ses yeux, elle avait toujours été une distraction, chaleureuse, sensuelle, particulièrement agréable pour combler les nuits glaciales de Frostväll mais il n'avait jamais aussi bien saisi l'ampleur du fossé les séparant à présent qu'elle avait recouvré le rôle de princesse, non, d'héritière, de Nighon et qu'il était réduit à ce qu'il était réellement : personne. Personne d'important, du moins, un statut qui, s'il ne manquait pas d'ironie compte tenu de sa réelle identité dont il ignorait tout, lui convenait parfaitement. Ou lui avait convenu parfaitement, jusqu'à être convoqué devant tout ce qu'elle incarnait et qu'il découvrait sous un nouveau regard. La remarque cingla, l'arrêtant net dans toute tentative de provocation dans l'espoir de lui arracher une réponse. Ses traits laissèrent entrevoir la peine, plus que l'angoisse, de toute la portée de cet ordre. « Très bien » se contenta-t-il de répondre, le regard sombre posé sur elle. Bianca savait. De toute évidence, sa connaissance du sujet n'était que partielle, sans quoi elle ne l'aurait fait convoquer jusqu'à elle, dans un château qui ne faisait rien pour réduire leur écart, mais elle supposait au moins son implication. Lancelot songea à Guinevere, et toute la haine qui lui brûlait les veines à ce seul visage marqué dans son esprit. L'idée le traversa, selon la tournure de la conversation, de faire ce qu'elle n'était parvenue à faire : la faire plonger avec lui, donner son nom en pâture à la princesse avec une histoire qui, plus que de tenir la route, sonnerait comme vérité indiscutable. Les conséquences, bien sûr, seraient terribles pour Guinevere, mais était-il réellement homme à offrir des deuxièmes chances ? « Pas détestable. Je prends ça comme un compliment. » Il se risqua à l'esquisse d'un sourire, rapidement ravalé lorsqu'elle poursuivit. Son plan était à peu près tracé dans son esprit : nier en bloc. Quelle que soit l'accusation, nier en bloc, prétendre que tout ceci n'était rien de plus qu'un malentendu et se défaire du problème actuel comme il le faisait toujours : avec humour, et charme. Il feignit la surprise, son front plissé, son regard interdit. « Je ne suis pas sûr de comprendre où tu veux en venir. Surtout n'hésite pas à clarifier, ça pourrait servir. » La provocation était aussi malvenue qu'incontrôlable, de la part d'un homme qui en avait fait une arme à défaut d'en posséder une physique. Celle-ci se paraît toujours d'un sourire moqueur, d'une chaleur dans les yeux qui ne trompait pas : il plaisantait, puisqu'il ne savait bien faire que ça. « Quel sale boulot ? Je ne savais pas qu'à tes yeux, nos interludes étaient un sale boulot, je me sens blessé dans mon orgueil de mâle. » Il jouait l'innocence, et ne doutait pas qu'il finirait par s'en sortir, car s'il était un trait de caractère utile à Lancelot, c'était sa capacité à se tirer de n'importe quel mauvais pas, de n'importe quelle situation. Peut-être que d'avoir grandi dans un environnement comme le sien l'avait rendu incroyablement débrouillard, ou peut-être qu'il était seulement chanceux au quotidien. Qu'importe la réponse, il fixa Bianca d'un regard rempli de (trop) d'assurance. « Je n'ai pas d'intention particulière à ton égard, princesse. » Il insista sur le dernier mot, un qu'il n'avait jamais utilisé lors de leurs nuits ensemble, dans l'intimité de draps où son titre à elle et son absence de titre à lui ne pesait rien en comparaison. « Il me semblait que c'était même tout l'intérêt de tout ça. De nous deux, j'entends. Pas d'intention, juste de bons moments où je me mets à ta disposition, rien de plus rien de moins. » C'était déjà bien assez, et à présent qu'il lui faisait face dans ce contexte : bien trop. Il s'approcha d'elle à pas feutrés, comme s'il essayait de se laisser une chance de courir dans l'autre direction dans l'hypothèse où Bianca sortirait les griffes. Si elle le laissa faire, il sentit la tension en elle lorsqu'il glissa une main dans ses boucles brunes. « Mais si j'ai fait quelque chose de mal, je peux toujours essayer de me faire pardonner » murmura-t-il à son oreille avec toute la suavité dont il était capable.

A travers sa colère, Bianca ne saisissait malheureusement pas l’intégralité de la scène qui se jouait devant elle. Les informations reçues étaient partielles et elle devait bien reconnaître que sa connaissance de Lancelot était plus qu’incomplète. Ça ne lui avait jamais semblé important, si son futur mariage tiendrait de toute manière plus à l’alliance à la clé qu’à l’harmonie du futur couple, dans son privé, Bianca se préoccupait bien peu du rang de ses conquêtes. Aurait-elle dû s’en préoccuper ? Peut-être qu’il suffisait d’un peu d’argent pour s’acheter la loyauté de Lancelot et les ressorts de ce possible complot contre elle lui échappait. Mais la légèreté dont il faisait preuve, visiblement peu atteint par les menaces de la princesse… Non, elle ne concevait pas que la magie à laquelle elle consacrait tant d’argent et tant de dévouement puisse lui avoir fait défaut et que le miroir aurait pu la mettre sur une mauvaise piste. Cette éventualité ne faisait que la mettre un peu plus à cran. Sa vie menacée, son amant accusé du complot et maintenant elle ne pouvait pas s’en remettre aux objets magiques qu’elle passait tant de temps à acquérir. Elle cherchait des raisons de l’accabler autant qu’elle laissait la porte ouverte à toutes les formes d’exonération qu’il pourrait trouver. Elle se débattait entre son instinct de survie et l’attrait naturel qu’il exerçait sur elle et qui lui faisait sérieusement considérer la possibilité qu’il soit innocent de toutes charges. L’agacement qu’elle affichait au badinage de Lancelot faisait mur devant la confusion qui la traversait de toutes parts. Toutes ces occasions qu’il aurait manqué pour aller au bout de ce qu’elle supposait qu’il avait le dessein de réaliser… Mais Bianca avait été nourrie dès le berceau par les complots et la corruption de Nighon. Elle en avait vu d’autres fomenter leurs coups des années, elle avait connu certains prêts à toutes les folies pour ne serait-ce qu’un poste de garde ou quelques pièces. « Tu ne comprends pas ? N’essaye pas de te dédouaner aussi facilement, j’ai tout mon temps et si tu essayes de sortir tu n’iras pas très loin. » Elle avait la sensation qu’il savait très bien de quoi elle l’accusait et ça ne semblait pas le préoccuper moindre mesure. Oh, c’était si facile de l’amadouer, parce que s’il était né sans titre, il était doué de biens d’autres charmes auquel Bianca accordait un intérêt particulier. Elle le laissa approcher sans broncher, mélange d’habitude et d’attraction évidente, elle ne risquait rien avec une armada de gardes derrière la porte. Bianca laissa aller sa tête, réchauffée par sa proximité, tentée par ce que sa proposition laissait entrevoir. Ce serait si simple. Il ne suffisait que d’une impulsion pour oublier cette fâcheuse discussion et que les choses reprennent leur cours normal. « Je ne voulais pas t’embêter avec ça. Et je suis reconnaissante pour le travail accompli, je prolongerai le service avec plaisir… » Ses doigts glissèrent doucement le long de son avant-bras et sa main vint étreindre la sienne, un léger sourire déridant le visage jusque-là très fermé de l’héritière. La pression sur sa main se fit plus ferme et Bianca contraignit la main de Lancelot à se délier de ses cheveux. « Mais faut-il encore que ce soit pardonnable. » Elle libéra sa main de la sienne, mais puisqu’il insistait pour que la conversation soit intime elle posa une main au niveau de son torse. « Je n’aime pas qu’on me mente, malheureusement je crois en la fiabilité de mon informateur mais je ne sais pas trop à quoi m’en tenir avec toi. Quelqu’un est visiblement moins satisfait de ma présence dans ce monde que tu sembles l’être. Et je ne tarderai pas à découvrir de qui il s’agit. » Sa main remua et elle pointa son doigt, exerçant une pression volontairement appuyée au niveau du cœur de Lancelot. « Si tu sais quelque chose et que tu ne m’as rien dit, je serai obligée de me séparer de toi, et crois-moi ça ne me dit rien qui vaille. » Et de-là où elle avait grandi, cela signifier employer tous les moyens qu’elle aurait envie de s’octroyer. La même main glissa le long de son épaule et à son tour, elle se laissa aller aux confidences glissées à l’oreille. « Mais ce ne sont pas des menaces, ce ne sont que des conditions pour que les choses se passent bien entre nous. » Elle ne revint pas sur ses pas, au contraire, elle ponctua son ultime invitation à ce qu’il infirme ou non son implication dans ce complot comme il semblait s’en défendre par un baiser qu’elle déposa sur le coin de ses lèvres.

« Je n'ai aucune intention de sortir » répondit-il, placide mais ferme. Pas seulement parce que le nombre de gardes dehors aurait tôt fait de s'occuper de son cas, mais aussi parce qu'il n'avait rien à se reprocher – en théorie du moins. En pratique, les frontières étaient nettement plus floues, principalement parce que la principale responsable de cette situation continuait de vivre une vie qu'elle aurait du perdre à la seconde où elle avait avoué – contrainte – ce plan stupide. La stupidité aurait du tuer Guinevere, histoire de lui épargner la peine de s'en charger lui-même, mais dans un cas comme dans l'autre, se débarrasser d'elle aurait grandement aidé la présente situation. Car Lancelot, face à Bianca, était confronté à un dilemme dont il ne savait que faire pour se tirer, mis à part nier en bloc avec le sourire insolent qu'on lui connaissait, priant pour que sa bonne fortune agisse une fois de plus à sa rescousse. La proximité physique avec la princesse lui permettait au moins d'être en territoire connu : celui du badinage innocent, auquel il se montrait très talentueux et donnait le change. Comment un type dans son genre aurait-il pu vouloir la mort de quelqu'un, plus encore une princesse héritière, quand il se montrait aussi... tendre ? L'idée lui arracha un sourire, accentué par la main de Bianca posée sur la sienne. Sa voix caressante lui laissa espérer quelques secondes que ce malentendu serait dissipé de la façon la plus agréable à sa connaissance, mais elle se reprit rapidement, capable comme toujours de souffler le chaud puis le froid avec une aisance incroyable. Si ce n'avait été pour Guinevere, ou du moins l'image qu'il s'obstinait à garder d'elle dans son esprit, sans doute aurait-il pu se laisser aller à une intimité émotionnelle, en plus d'être physique, avec Bianca. Il voyait le tableau d'ici, là encore totalement imperméable à l'ironie de la situation : eux, les deux héritiers d'une couronne, ennemis jurés de naissance mais capables de se trouver malgré tout, dans un autre royaume. Heureusement pour eux, cependant, de ses origines Lancelot ignorait tout, sans quoi sa tête aurait déjà roulé aux pieds de Nighon en guise d'offrande, de la part d'un roi ou de l'autre. Peut-être de Pan, afin de consolider l'alliance entre les royaumes ? « Quelqu'un ne serait pas satisfait de ta présence dans ce monde ? » répéta-t-il, faussement choqué, goguenard à souhait. « Je ne peux pas imaginer qu'on puisse vouloir se débarrasser d'une princesse aussi caractérielle et égocentrique que toi, la seule idée me semble ridicule. » Un sourire railleur étira ses lèvres. « Une chance que je préfère les femmes avec un fort tempérament. » S'il sentait l'index accusateur de Bianca contre sa poitrine, contre son cœur même, il ne perdait rien de son courage (de sa stupidité) légendaire et continuait de sourire avec cette malice familière. « J'ai pour habitude de ne pas mêler affaires et plaisir. Franchement, quel intérêt aurais-je à te tuer ? Qu'est-ce que j'y gagnerais ? De l'argent ? Du pouvoir ? » Il l'observa avec un rien d'incrédulité. « Allons, tu me connais, rien de tout ça ne m'intéresse. Je ne vis que pour les petits plaisirs de la vie, et tu fais un petit plaisir particulièrement... agréable. Je n'ai aucune intention de me débarrasser de toi. » Au moins disait-il la vérité sur ce point, détournant de ce qu'il pensait être une façon habile l'attention de la princesse sur la possibilité d'une tierce personne. Une fois de plus, il maudit Guinevere et ses idées de vengeance pathétiques, mais plus encore il la maudissait d'être à ce point présente quelque part entre son cœur et son esprit qu'il se refusait obstinément à mentionner sa seule existence. Il le savait, si Bianca découvrait la réalité de cette histoire, la magicienne n'y survivrait pas. Malheureusement – pour lui – Lancelot était encore doté d'assez de cœur, et de culpabilité, pour ne pas vouloir s'y risquer. « Je trouvais que les choses se passaient plutôt bien entre nous, justement. Jusqu'à présent du moins. » Ses lèvres vinrent trouver la clavicule de Bianca, sur laquelle il déposa une traînée de baisers. « Mais je serais ravi de t'aider à clarifier les choses. » Il se dégagea de sa peau. « Si tu n'es pas convaincue, je peux t'aider à faire sens de cette histoire. Mais je veux ta garantie que tu ne me feras pas tuer. » Sait-on jamais, qu'elle ait eu la moindre velléité de lui planter un couteau littéral dans le dos. Pas qu'une garantie l'en empêcherait, mais il espérait que l'affection qu'elle lui portait, quoique relative, leur épargnerait au moins de se trahir l'un l'autre – même si cet espoir avait déjà été déçu bien trop récemment à son goût.

Elle hocha la tête, satisfaite qu’il suive ses conseils. Enfant chérie, fille prodigue d’un roi qui ne devait sa longévité sur le trône qu’à sa capacité à corrompre le moindre de ses interlocuteurs, Bianca n’avait pas grand intérêt pour le trône en lui-même. Baladée d’un projet de mariage à l’autre, elle avait compris tous les avantages qu’elle tirait de sa situation aussi bien que les écueils à éviter pour s’en sortir le plus longtemps possible dans un climat politique qui ne lui était que peu favorable. Il ne fallait pas être fin diplomate pour se rendre compte que les capacités de Bianca à diriger un royaume étaient limitées et que son confort personnel l’intéressait beaucoup plus que le sort du bout de terrain sur lequel son père avait bien incrusté son royal séant. Mais l’héritière de Nighon n’avait pas oublié d’être intelligente. Être une mauvaise dirigeante par stupidité était une chose bien différente de l’être par manque de curiosité pour la politique. Peu importe que Lancelot prenne part ou non à ce complot, dont elle découvrirait bientôt les tenants et les aboutissants, elle devait reconnaître que la manœuvre était ingénieuse. Elle se méfiait de sa fratrie plus que tout, peu encline à penser que les liens du sang pourraient freiner celui qui aurait décidé de se débarrasser de la grande sœur trop embarrassante. En revanche, la méfiance de Bianca ne se serait naturellement pas dirigée vers Lancelot. Malgré ses tours de charme, elle ne perdit pas de vue la chaise sur laquelle elle était sensée s’asseoir au bout du compte. Elle pencha la tête sur le côté, admirative, il faut dire, de l’aplomb de Lancelot qui ne prenait pas vraiment la peine d’avoir l’air terrifié à l’idée de voir sa tête accrochée sur les remparts de Shadowspire. « Visiblement tout le monde n’a pas aussi bon goût que toi. Personne n’ignore qui je suis, ni ce que ma présence ici signifie, je peux te fournir une liste relativement fournie des personnes qui en dehors de mon caractère, absolument charmant, aurait envie de m’écarter de leur chemin. » Il n’était pas question seulement d’apprécier ou non la princesse, c’est surtout qu’à elle toute seule elle portait les bassesses historiques de Nighon envers les autres royaumes et elle représentait une cible de choix pour faire vaciller le royaume. Si elle était à ce point incompétente, elle aimerait les voir se débrouiller avec Flynn l’apprenti sorcier ou cet arriviste d’Aladdin. Sans se départir de son sourire, il se défendait d’avoir la moindre mauvaise intention à son égard. Cela la rassurait autant que ça l’inquiétait. Si l’aventure était destinée à être purement physique, il ne s’en demeurait pas moins qu’elle se surprenait à apprécier Lancelot. Quelque chose dans la manière qu’il avait à ne pas prendre des pincettes avec elle quand la grande partie de ses interlocuteurs à Frostväll fuyait son regard de peur que Nighon l’ait parée du pouvoir de semer le chaos partout où elle passerait. Elle ne savait plus trop si le contact des lèvres de Lancelot contre sa peau n’était qu’une modalité de leur discussion, s’il s’agissait d’une preuve de confiance ou bien si ce n’était qu’une manière de détourner son attention dans une ultime tentative d’adoucir le regard que l’héritière portait sur son sort. La proposition de Lancelot – en tout cas elle le recevait comme ça – lui donnait à réfléchir. Elle tourna les talons, quelques pas l’emmenant plus loin dans la pièce. Ces rumeurs la tracassaient, pour autant elle ne voulait pas compromettre les tractations en cours à Frostväll ni alerter Nighon – qui sait qui pourrait sauter sur l’occasion de savoir Bianca menacée pour en rajouter une couche. A titre personnel, elle se délectait de l’idée de ne pas avoir à congédier Lancelot. Et elle ne manquait pas de moyens de s’assurer du respect de sa mission, pensa-t-elle en jetant un regard instinctif à son miroir. Elle retrouva le chemin de Lancelot, retrouvant un sourire qui portait un semblant de tendresse. « Je n’ai aucune envie d’en arriver là, mais je ne peux pas prendre de risque. Le trône suppose quelques sacrifices et j’estime avoir à voir deux trois choses avant de laisser ma place. » Elle ne manquerait de mener sa propre enquête, mais si elle pouvait s’assurer que Lancelot ne trempait pas dans cette affaire, elle prenait. Elle tendit la main vers lui, pour sceller l’accord. « Tu as mon entière protection, mais je veux le responsable sur un plateau d’argent. Et je ne toucherai pas à un de tes cheveux, en tout cas pas d’une manière qui te soit désagréable. » Les conditions écrites en petit en bas du contrat précisant qu’elle serait beaucoup moins conciliante si elle venait à découvrir l’implication de Lancelot. En attendant, elle frissonnait de retrouver le secret de leurs rencontres nocturnes.

« J'ai toujours su que j'avais des goûts discutables » se moqua-t-il, le regard ancré dans celui de la princesse. Plus exactement, Lancelot les aimait vives, avec un tempérament brûlant et un fort sens d'indépendance. Tout ce que Bianca savait être au moins avec lui – il ne se serait pas permis d'en juger pour le reste de ses relations, moins encore compte tenu de la complexité de celles-ci et de leurs implications. D'autres que lui auraient saisi l'opportunité de se creuser lentement mais sûrement une place de choix auprès d'elle, quitte à mettre de côté tout le reste au profit de l'intérêt qu'elle pouvait représenter de par son rang. Mais Lancelot ne l'avait jamais envisagée de cette façon, ne l'appréciait pas pour le trône dont elle hériterait, mais pour ce qu'elle était loin de tous les simagrées de la cour dont Arthur l'abreuvait chaque fois qu'ils se voyaient – soit très souvent. Il suivait les aventures des uns et des autres d'une oreille distraite, peinait à réconcilier les noms et les personnes, et de façon générale n'y portait qu'un intérêt très limité. Ce n'était pas sa place, ne l'avait jamais été, et son départ de Nemeree n'avait fait que renforcer sa certitude que Lancelot n'était pas fait pour cela. « Vraiment ? Et à quoi ressemblerait cette liste ? » demanda-t-il, curieux. Evidemment qu'elle faisait une cible de choix, même lui en avait conscience. Rien d'étonnant à ce que Guinevere ait vu en elle l'ennemie à abattre pour faire d'une pierre deux, voire trois coups. Mais il avait du mal à concevoir qu'elle soit aussi simple à atteindre ; après tout, si même lui pouvait la rencontrer régulièrement sous le couvert de la nuit, il n'était pas à exclure que d'autres aient la même possibilité. « J'espère que ce ne sont pas d'autres hommes que tu fréquentes, sans quoi je commencerais à me questionner sur tes choix en la matière. Exception faite de moi, naturellement. » Ah, Lancelot était doué dès qu'il s'agissait de badiner, ou de ne pas se prendre au sérieux. Sa légendaire confiance en lui, doublée de son attitude nonchalante, rendait difficile le fait de l'envisager comme une menace et il ne doutait pas que Bianca pense la même chose. « Tu vas vraiment l'épouser ? » demanda-t-il finalement, lui-même surpris par l'audace de la question. Ce n'était, après tout, pas son problème et à tout point de vue, Jack ferait un excellent mari et allié pour Bianca. Mais il avait du mal à concevoir qu'elle accepte de s'enchaîner à un homme pour le seul besoin d'un trône, et plus de mal encore à concevoir qu'elle puisse outrepasser leur mariage pour ses plaisirs à elle. Qu'on ne s'y trompe pas : il n'y avait pas une once de jalousie dans sa question, quand bien même égoïstement il espérait ne pas devoir un terme trop rapide à leur relation, mais il peinait à comprendre pourquoi elle accepterait ce choix quand tant de perspectives s'offraient à elle. Il songea non sans une certaine rancoeur envers l'actuelle reine de Nemeree que Bianca aurait fait un bien meilleur choix pour Pan que Cora, mais s'était toujours gardé de le mentionner auprès du principal intéressé. Lancelot semblait à tout le moins avoir convaincu la princesse de ne pas le faire exécuter trop rapidement, mais la proposition qu'il avait faite le mettait dans une position délicate, à présent qu'elle l'avait acceptée. « Pardonne-moi l'audace, mais je me suis toujours demandé si tu voulais vraiment de ce trône. Je sais que le pouvoir a l'air de faire rêver tout le monde et que je suis comme toujours une charmante exception à la règle, mais tout de même. Pourquoi te mettre en danger pour... ça ? Qu'est-ce que tu y gagnes, mis à part de satisfaire ton égo ? » s'enquit-il, la voix à mi chemin entre politesse et raillerie. Il serra la main qu'elle lui tendait, en profita pour abuser de sa position privilégiée et glisser un baiser à la commissure de ses lèvres avec la malice d'un enfant, avant de retrouver tout son sérieux devant l'ampleur de la tâche. Il était passé en l'espace d'une discussion du coupable d'un complot, à un allié pour le défaire, mais le fait qu'il ait connaissance de toutes les coulisses de ce complot et que sa tête soit en jeu rendait l'affaire nettement plus compliquée qu'il ne l'aurait voulu. « Et si je ne parviens pas à trouver le coupable ? Qu'est-ce qu'il se passera pour mes cheveux ? Tu sais que j'y tiens particulièrement... » Et par cheveux, naturellement, il faisait référence à sa vie, quoique sa chevelure ait effectivement été une source de fierté pour lui. « Tout ce que je peux te dire pour l'instant, c'est qu'il y a des rumeurs qui circulent dans Presthyra, et que l'idée de voir Nighon s'allier à Frostväll ne fait pas l'unanimité. » Pour quelqu'un qui ne s'intéressait pas à la politique, il était amusant de voir la quantité d'informations qu'il était pourtant capable de retenir à ce sujet.

Du fond du cœur, elle espérait sincèrement qu’il était aussi inoffensif que son sourire angélique le laissait penser. Bianca devait-elle conclure du comportement de Lancelot qu’il était innocent de toutes les charges dont elle l’avait accusé ou bien qu’il usait de son charme avec plus d’habilité qu’elle ne pensait ? Elle lui fit la moue, elle ne voulait pas qu’il se sente trop à l’aise mais son badinage lui obtenait de meilleurs résultats. De toute manière, elle n’avait jamais été une princesse de glace, elle était faite de sang et de chair et il n’y avait bien que ça qui la faisait avancer. La curiosité de Lancelot l’amusait tant il semblait que sa réputation la précédait partout où elle allait. Mais elle devait avouer qu’à force d’entendre répéter qu’il y avait certainement un prix sur sa tête, elle finissait par être surprise que quelqu’un puisse vraiment entreprendre de se débarrasser d’elle pour de vrai. « J’aurais tendance à dire que la moitié de mon propre royaume ne cracherait pas contre une opportunité de me renverser si ça peut servir leurs intérêts. Et je suppose qu’on doit trouver parmi ceux qui restent d’Erendieren quelques valeureux qui à défaut d’avoir la tête du père se contenteront de celle de sa fille. » Si le ton était léger, sa conscience des enjeux étaient bien réels. Mais pour Bianca, la politique était quelque chose de donné, et non une chose à laquelle elle avait envie de participer. Elle était maintenant assez sage – pour ne pas reconnaître qu’elle avait bien entamé la trentaine – et les années lui avaient suffi à savoir qu’elle avait encore de belles années devant elle sans avoir à se mêler du fond du sujet. Le temps viendrait, alors elle aviserait. Pour l’instant, elle faisait de la politique de copinage, le peu de diplomatie qu’elle faisait se limitant à son amitié avec le roi Pan. La remarque la fit sourire, les autres avaient souvent des intentions bien plus affichées. « Je te rassure, tu es l’exception à la règle. Mais ne t’en réjouis pas, jusque-là je pensais que tu te démarquerais du lot par d’autres qualités que celle d’être le premier à avoir potentiellement un poignard à me planter dans le dos. » Oh, elle préférait lui rappeler pourquoi il était là. Il était encore bien tôt pour qu’elle se défasse de ses apparats de princesse et malgré sa proposition de l’aider à faire la lumière sur ce complot, il n’était pas pardonné d’avoir semer le trouble dans leur routine, jusque-là très agréable. La question était surprenante et elle devait admettre ne jamais s’être posé la question à voix haute. A quoi bon ? Pour l’instant la perspective de ces potentielles fiançailles lui offrait un voyage dans une contrée dans laquelle elle n’aurait jamais mis les pieds de plein gré et on lui avait présenté un parti finalement plutôt bien fait de sa personne. Quant à savoir s’il lui posait la question pour étancher sa curiosité personnelle ou pour d’autres fins… « Je ne te savais pas si intéressé par la grande politique. Décidément, je n’aurais pas dû me laisser amadouer trop vite, tu as des intérêts insoupçonnés envers ma personne. » Les projets de mariage s’étaient succédé sans qu’aucun n’arrive à son terme. Quand ce n’était pas pour s’assurer de fournir un héritier à la couronne de Nighon, il y avait toujours une alliance à conclure. Jack était l’un des moins pires qu’on lui avait soumis. Mais là encore, Bianca n’avait jamais joué avec la chance. Elle s’était bien faite à l’idée d’épouser Peter, les choses étaient celles qu’elles étaient et des années plus tard, elle anticipait les retournements de situation. « Je ne sais pas, qu’est-ce qu’on a de mieux à me proposer ? Je ne doute pas que ma beauté perdura, mais je ne serais pas aussi jeune éternellement et dans la balance je suppose qu’il y a la question de l’héritage que je laisserai. Tu as de la chance de ne pas être né héritier et de ne pas avoir ce genre de préoccupations. » Sans se douter de l’ironie de sa remarque. L’accord était agréablement conclu bien qu’elle sentît encore une forme d’hésitation de sa part. « Dans ce cas-là… je suppose que ça dépendra de la bonne foi que tu auras mis dans ta quête. Je n’ai pas l’intention de gâcher de si jolis cheveux en vain. J’espère pouvoir te faire confiance, maintenant que je suis sûre que nos intérêts s’accordent. » Elle passa une main légère et joueuse sur sa tempe, juste à la naissance de ladite chevelure. Elle vint s’avachir avec toute sa grâce dans un fauteuil et médita sur les quelques brides d’informations lancées par Lancelot. Nighon était loin d’être un paradis sur terre et elle comprenait aisément que Frostväll ne soit pas ravie à l’idée d’être associé à ce chaos permanent. Pour autant, elle n’avait jamais imaginé que cela puisse embêter quelqu’un au point d’attenter à sa vie. Elle s’imaginait plutôt l’invitation à faire le voyage retour à Nighon émaner directement du roi et de la reine. « Je vois… Ce mariage n’emballe visiblement pas grand monde, j’avais pourtant imaginé une superbe fête. »

Lancelot n'était rien de moins que fasciné par cette princesse et ce tempérament si éloigné de tout ce qu'il imaginait qu'un roi ou une reine devait être. Bien sûr, son point de comparaison était quelque peu douteux, puisque Pan n'était pas nécessairement le modèle à suivre et il vouait une indéniable animosité à Cora, mais Bianca lui paraissait si... impulsive dans toutes ses émotions qu'elle détonnait nettement avec le portrait-type qu'il forgeait dans son esprit. Rien d'étonnant, dès lors, que tant de personnes s'opposèrent avec virulence à cette princesse capricieuse et détonnant dans le paysage royal d'Evermore. Sans doute que bien des personnes auraient préféré une autre héritière qu'elle, et de ce qu'il connaissait de Nighon, ils avaient l'embarras du choix. « On oublie parfois que Nighon n'est pas une terre très... fiable. Il faut dire que leur princesse a de solides arguments pour mettre en avant leur sens de l'accueil. » Il se para d'un rictus carnassier quelques secondes avant de reprendre sa nonchalance habituelle. « Quant aux habitants d'Erendieren... peut-on les blâmer ? » Son cœur se serra à la seule idée que rien n'était plus vrai. Si mauvaise était l'idée de Guinevere, et plus encore son exécution, il ne pouvait nier qu'il comprenait pourquoi la vengeance lui tenait tant à cœur. Il se souvenait encore du moment où il avait appris la chute d'Erendieren aux mains de l'alliance Nemeree-Nighon. Pas violent dans l'âme, l'idée que des milliers de morts aient servi l'intérêt d'une démonstration de pouvoir de la part de son propre roi le perturbait plus qu'il ne l'aurait jamais admis. Lancelot avait cet avantage de sembler si détaché de tout qu'on le pensait parfaitement au-dessus de ces considérations, de ne pas s'embarrasser d'un poids aussi surfait qu'une conscience et pourtant ; cet acte de guerre ouverte lui avait profondément déplu, quoiqu'il s'en gardât de partager l'avis auprès de Pan, histoire de conserver une tête à laquelle il était profondément attaché. Les motivations de Guinevere, donc, étaient acceptables et nul doute qu'il aurait envisagé la même punition auprès de la même personne s'il avait été directement concerné, mais il n'en restait pas moins que la trahison était cuisante, difficile à accepter, en dépit du fait qu'il lui avait laissé la vie sauve quand tout en lui criait de mettre un terme définitif à cette folie. « Je pense que l'utilisation du mot 'potentiellement' est importante ici... » nota-t-il dans un sourire moqueur. Une fois de plus, Lancelot n'avait aucun intérêt à le faire, rien à gagner dont se repaissaient les gens autour de lui. Il aurait pu avoir du pouvoir, des terres, de l'argent, mais avait toujours suivi le chemin inverse ; pas par manque d'opportunités, mais par véritable choix et désintérêt profond pour les manipulations politiques. Ce qui l'amusa d'autant plus que Bianca plaisantait de lui et de ses intérêts cachés. « Je t'arrête tout de suite. J'ai grandi avec le roi de Nemeree et quand j'ai eu le choix de suivre ma voie, je me suis empressé de partir le plus loin possible de cet environnement. Le seul intérêt que j'ai pour ta personne est d'ordre... physique. » Il posa un regard espiègle sur cette femme, s'amusant de leurs échanges qui ne perdaient jamais de leur sel et amenaient à son esprit des pensées bien peu chastes. Il acquiesça posément à ses explications, leva les yeux au ciel à la mention de sa fortune comme s'il était parfaitement inconcevable d'imaginer que cet homme-ci puisse être un héritier avec son lot de décisions à prendre. « Tu pourrais toujours abandonner le trône. Et je ne dis pas ça parce que j'ai quelque chose à y gagner, je m'en moque éperdument et je sais que notre 'relation' est vouée à s'arrêter à un moment ou à un autre. C'est juste que si le trône est un fardeau, pourquoi t'entêter à le vouloir à ce point ? Imagine la vie de libertés que tu pourrais mener. » Il parlait sans savoir, bien sûr, inconscient de ce que la seule naissance de Bianca comportait d'obligations royales. Ce n'était pas un choix à sa disposition, quand bien même lui pensait que tout le monde avait un choix à faire et que c'était le manque de courage, plus que le manque de possibilités, qui poussait les gens à se satisfaire d'une situation désenchantée. Il s'approcha de la princesse, à présent assise dans un siège, se plaça derrière elle pour caresser délicatement les épaules de Bianca et flirter avec sa nuque. « Es-tu vraiment surprise ? Sans parler des détracteurs de Nighon, il y a aussi tous les habitants de Frostväll qui préfèrent l'idée de garder leur indépendance et sont fermement opposés à toute forme d'alliance. » Et les discussions de ce type allaient bon train dans sa taverne fétiche : les Frostvälliens étaient un peuple fier, satisfaits de leur position et refusant de voir leur nation se rabaisser en voyant leur roi épouser la princesse d'un autre royaume. « Si tu avais le choix d'épouser qui tu voulais, est-ce que tu choisirais réellement Jack ? Non que j'aie quoi que ce soit à lui reprocher, pour le peu que je le connaisse, mais je doute qu'il ait réellement été ta première option. » Si Bianca était même seulement capable d'aimer, ce dont il doutait parfois, jusqu'à voir quelques fêlures se frayer un chemin dans son regard et soupçonner qu'il y avait en elle bien plus que ce qu'elle plaisait à afficher au reste du monde.

Bianca aurait été l’héritière de n’importe quel autre royaume, sans doute sa destinée aurait été bien différente. Malgré le peu d’affection qu’elle accordait à son peuple, son royaume était son ADN et avait fait d’elle tout ce qu’elle était maintenant. Elle ne serait peut-être pas une reine acclamée, mais personne ne correspondait mieux dans le caractère au nid de vipères qu’était Nighon. Paradoxalement donc, elle avait été élevée comme un parfait produit d’une terre qui grouillait d’ennemis potentiels qui se seraient bien vus héritiers à la place de l’héritière. « Je peux peut-être tout à fait disposée à être accueillante si on sait y faire et qu'on mérite que je mette les formes. » Bianca doutait qu’il ait vraiment eu de raisons de se plaindre de l’accueil qu’elle lui réservait personnellement. Même si les événements de la journée montraient une bonne facette du traitement qu’elle réservait habituellement à ses invités. Quant à Erendieren, elle haussa les épaules, tout ça n’était qu’une succession d’événements fâcheux qu’elle avait suivi de loin sans vraiment porter d’attention à ce qu’il était en train de se passer. Et elle ne s’était pas vraiment penchée sur le ressenti de la population du royaume voisin du sien avant qu’on lui soumette l’idée que l’effondrement d’Erendieren ait pu dessiner une cible dans son dos. L’attachement de Bianca à son propre royaume relevait tellement de considérations matérielles qu’elle ne savait pas vraiment ce qui pourrait l’atteindre si Nighon venait à son tour à être écrasé. Sans doute que son propre sort l’inquiéterait davantage qu’une volonté de venger son peuple. « Oh les gens ne manquent jamais d’imagination pour être en colère, et je dois admettre que ce n’est pas la mesure la plus populaire que Nighon a pu prendre. » répondit-elle avec tout le peu d’intérêt que les affaires politiques éveillaient chez elle. Le résultat étant qu’avec la chute de ce royaume où elle n’avait jamais mis les pieds et qu’elle ne savait situer sur une carte que grâce à sa proximité avec Nighon, elle risquait sa peau pour des évènements auxquels elle n’avait même pas pris part. C’était là le vrai scandale. Dans un enchaînement de sourires, Lancelot avait réussi à calmer les prétentions qui avaient amené Bianca à le faire venir dans toute cette mise en scène. Elle prenait des décisions de la couleur de ses émotions, et si la colère l’avait poussée à considérer à mettre fin à leur relation dans des conditions tragiques, il avait réussi à l’amadouer suffisamment pour qu’elle cherche des raisons de lui garder la vie sauve. Derrière la plaisanterie, elle accordait de l’attention à ce qu’il lui racontait. A l’instar de Lancelot, la princesse n’avait vu qu’un intérêt purement physique à cette amourette qui comblait ses vacances à Frostväll, elle était curieuse d’en apprendre autant sur lui. Bianca ne demandait que d’un monde où on la laisserait vivre que selon ses propres conventions, mais elle savait aussi que le simple fait d’envisager une vie loin de la couronne de Nighon ne lui ouvrait pas la porte de la liberté telle qui la lui décrivait. Cela faisait d’elle une cible d’autant plus simple à atteindre et tout ce dont elle aspirait lui était garanti par sa position. « Je ne suis pas sûre que ce soit si simple. Tu penses que si je renonce au trône, les autres héritiers laisseront une potentielle héritière courir dans la nature ? Et je n’en attendrais pas moins d’eux. Je suis bien plus en sécurité bien en vue, là où tout le monde peut me trouver et de là où je peux voir d’où le coup risque d’arriver. » C’était peut-être quelque chose de possible ici, à Frostväll, mais elle connaissait les rumeurs dans les rues de Ravafina. Elle n’avait qu’à se rapporter à sa propre frustration d’avoir vu apparaître un nouvel héritier dans leur arbre généalogique. Si comme le supposait Lancelot elle décidait d’abandonner son titre, elle pouvait s’assurer de disparaître efficacement avant que quelqu’un s’en charge pour elle. Elle se laissait bercer par ses mains contre son cou là où elle aurait pu s’inquiéter que la délicate caresse devienne une étreinte qui lui soit fatale. Elle savait pertinemment pourquoi le roi de Nighon l’avait envoyé elle plutôt que de traiter directement avec les souverains de Frostväll, disons qu’elle avait des atouts donc son père était dépourvu depuis longtemps. Bien sûr que jamais elle n’aurait considéré d’elle-même épouser Jack. Mais il s’était révélé être bien au-delà de ce qu’elle avait imaginé de ce roi. Avec toute la diplomatie en jeu, il avait pris le temps de s’intéresser à elle avant de considérer que l’alliance risquait de lui coûter la désapprobation de son peuple dans un royaume où tout ça comptait. Elle se tourna de biais et attrapa doucement sa main comme pour le ramener de ses divagations à la réalité. « Quelle autre option j’ai ? Tout cela est très romantique et je te souhaite d’avoir tout ce que tu me décris là, mais je pense pas que ce me soit destiné. Quelque soit le choix qui soit fait je ne pense pas que cela m’apporte moins d’ennemis. Et dans le cas où miraculeusement on me laisse tranquille, je suis assez grande pour me créer mes propres problèmes. » Elle lui glissa un clin d’œil, comme si finalement rien n’avait vraiment d’importance pour elle. Ces fiançailles n’enchantaient personne, mais à elle, elles lui plaisaient un peu. Le bien-être d’un peuple comme de l’autre ne l’embarrassait pas alors que son éventuel prétendant lui ouvrait la possibilité de conserver son confort et se fendait même d’un intérêt pour elle qu’elle n’aurait pas soupçonné en arrivant à Frostväll.

evermore and further

» slowly, and then all at once · w/eliot