Les applaudissements du public viennent saluer la fin de performance des Everstills au Barfly Club. Le moment de rappeler à chacun qui fait quoi, et surtout de montrer toute l’étendue des talents de chacun des membres du groupe par les incontournables solos que tout rock band se doit de réaliser. « Merci à vous pour cette soirée de dingue, vous avez mis le feu ! » Les applaudissements redoublent : malgré qu’ils n’aient pas encore signé avec le label ni sorti d’album, leur public se construit et les fans se multiplient au point qu’il ne leur manque plus qu’un contrat pour décoller. « On applaudit la formidable Ree Tragger à la guitare ! » Sid joint le geste à la parole alors qu’elle se lance, seule, sur un formidable enchainement technique et entrainant. A peine termine-t-elle qu’il reprend la parole : « L’incroyable Skye McKinney à la basse ! » Celle-ci se doit tout autant d’être mise à l’honneur tant son amie est un putain de génie de cet instrument – et si le conservatoire n’y est pas pour rien, c’est son cœur, son âme, ses trippes qui donnent vie aux notes qu’elle joue. Comme à Ree, il lui laisse tout le temps qu’elle souhaite pour exposer aux yeux de tous son formidable talent avant d’enchainer : « Et le génial Jace Aldersley à la batterie ! » Tonnerre d’applaudissements encore au Barfly Club, qui menace littéralement d’exploser. Jace se lance dans un solo de malade, et toute cette incroyable énergie mêlée à ce talent d’exception n’est à rien de provoquer chez lui une hilarité d’extase. Il est fier. Terriblement fier d’eux, de ce qu’ils font. Lui est aussi à l’aise sur scène que dans la vie – si ce n’est plus. Le solo de Jace terminé, il conclue : « Nous sommes les Everstills, et parce qu’on n’est rien sans vous et que vous êtes vraiment trop, trop bons ce soir, on vous en fait une dernière. On l’a encore jamais jouée devant personne, on espère que vous allez autant l’aimer que nous. Un, deux, trois. GO. » Les premières notes de leur ultime morceau provoquent une vague d’excitation dans le public, tellement emballé que la foule saute, crie, applaudit continuellement devant eux. Sa voix et sa guitare rejoignent bientôt le reste du groupe. Sid Atkins, sur scène, est un putain de showman, un hyperactif qui ne sait s’arrêter qu’une fois les lumières éteintes et le public dispersé. Un autre homme. Il traverse la scène, joue avec le public, fait participer à grands renforts de Ooooh-oh et Woh-oh-oh, tape dans ses mains pour donner le rythme à l’assemblée qui le rejoint. Quelques ultimes minutes de musique grandiose accueillie avec un entrain formidable avant que la fin, définitive cette fois-ci, ne vienne dans une acclamation proprement délirante de leur public. « Vous avez mis le feu ce soir ! Merci à vous, merci à Jim de nous avoir invités ici. Nous sommes les Everstills, et on vous dit à très bientôt ! » La lumière s’éteint sur eux sous les applaudissements, les hurlements et les éternels encore, encore de fin de concert. Sid va taper dans la main de Jace et prend les deux filles dans ses bras pour les soulever et les couvrir de baisers. Ce succès mêlé à l’adrénaline parcourant ses veines le rendent fou de joie. « Vous avez tout déchiré. Vos solos, une tuerie, c’était trop bien. » Direction les backstages, où le fameux Jim et des tournées gratuites les attendent. « Putain les gars, c’était incroyable. INCROYABLE. Vous avez mis le feu. » Sid s’installe dans un sourire. « Merci mec, de nous avoir proposé de venir. Meilleur public de tous les temps. » Sans compter que le son, ici, est archi propre ; normal : tout a été étudié pour. « J’suis trempé et j’ai hyper soif. Tu peux nous ramener de l’eau s’te plait ? Et une pinte de bière. Vous voulez quoi les gars ? » Sid a dégommé toutes ses bouteilles et sa voix est celle des fins de concert : éraillée. Et comme à chaque fois, ce n’est qu’une fois la représentation terminée qu’il s’aperçoit d’avoir sué comme un porc ; pas étonnant compte-tenu de toute l’énergie qu’il dépense sur scène, sans compter la chaleur de la lumière des projos fixés sur eux. Jim s’éclipse une fois la commande du groupe passée, ravi du déroulement de la soirée pour son pub et sa scène. Sid attrape son sac, laissé là quelques heures plus tôt, pour retirer son T-shirt et enfiler celui qu’il a toujours de secours. Mais cette fois-ci, il n’y a pas que ça, dans ce fameux sac. Il y a aussi ce contrat qu’on leur a proposé et qu’ils n’ont toujours pas signé. Compte-tenu de leur succès, tout le monde leur dirait qu’ils sont fous de ne pas le faire. L’excitation post-concert est toujours là, et il n’y a aucune autre force qui saurait mieux l’encourager à se lancer. Alors, avant que son cerveau ne reprenne le cours de ses interminables réflexions, de la pesée des pours et des contres, le contrat termine sur la table. « Faut qu’on se décide, et ce sera ce soir. »
@jace aldersley @ree tragger @skye mckinney

Il n’est aucune vérité plus évidente que celle-ci : Sid est né pour ça. Ree se surprend à en sourire bêtement à toutes les relances, aux interludes, entre les choeurs, ou bien serait-ce à chaque fois qu’il ouvre la bouche et parvient à voler l’attention de tout un public déjà pendu à ses lèvres. Ils ne sont pas en reste, les autres. Elle ne compte plus le nombre de fois, pharamineux, où elle a jeté à Skye un regard de foutue surprise, parce que vraiment, le dé-li-re.  L’angoisse de mal faire ou de ne pas trouver une audience a depuis longtemps laissée place à la liesse et à la pleine satisfaction de savoir qu’ils se trouvent là où ils sont supposé se trouver ; mieux,  font corps avec ceux qui deviendront leurs premiers fans et pourront se targuer d’avoir vu les Everstills en concert avant qu’ils ne soient connus. Emportée dans l’ivresse d’un moment qui restera à jamais gravé en elle, Ree voudrait continuer jusqu’à ce qu’ils ne tiennent plus debout, eux et tous les autres. Vu l’énergie qui se dégage des deux camps, la certitude qu’elle ne soit pas la seule à ressentir le besoin viscérale de continuer à gratter sur sa vieille Gibson force ses mains à poursuivre entre solos et unissons. Pour elle, le groupe et pour leurs fans de la première heure ; et à ses yeux ceux qui importent le plus. Le concert qui se voulait plus que modeste termine sous une trombe d’applaudissements, à tel point qu’elle ne sait plus quoi faire d’elle maintenant qu’il n’y a plus aucun morceau à jouer, qu’il ne reste qu’elle et tout le trouble que lui cause d’être au centre de l’attention. Elle enchaine les sourires et les rires, entre les bouteilles d’eau, les accolades et les félicitations, les bras d’untel ou untel qui se précipite vers eux parce que vraiment, tout ça mérite au moins un Grammy.    “ C’est toi qui a déchiré, prince des flammes. C’est tes chansons, on a fait que suivre.  ”  Oh, ce n’est pas tout à fait ça, même si c’est très humble de sa part de le prétendre. Ils se sont tous approprié une base déjà vibrante de génie et ils le savent, mais elle a surtout à dessein de complimenter Sid qui le mérite copieusement. Son poing frappe son épaule, son coude ses côtes et ses doigts ses cheveux suintant après l’accolade la plus emballée de la création. Elle éclate d’un rire ravissant avant de se tourner vers Skye et Jace qu’elle embrasse tous deux à son tour.   “  Et toi, et toi, des dingues. ”  Elle est terriblement contente d’avoir trouvé ce début de famille, et il faut dire que ce sentiment d’appartenance ne l’a pas frappée depuis ce qui lui semble être des siècles ; et au fond, peut-être qu’elle n’est pas si loin de la vérité qu’on ne croit. Devant son sac, elle fouille à la recherche d’une bouteille qu’elle finit par tendre à Sid, en vraie mère.   “  Tiens, c’est un truc à moi, ça ira mieux, ”  Lait au miel tiède et une note de bergamote pour la gorge. C’est un remède de grand-mère qu’elle tient, pas de sa grand-mère, mais d’on ne sait plus tout à fait où. Le fait est que ça marche pour les chanteurs et que Sid a besoin d’au moins ça s’il veut continuer à hurler comme il le fait pour les quarante prochaines années.   “  Comme toi, ça m’ira très bien.  ”  Une pinte, donc. Pas inspirée par mieux et franchement préoccupée, Ree s’en remet à sa Gibson, affectueusement surnommée Gigi, qui a été mise à rude épreuve ce soir. Évidemment, il n’y en a que pour sa guitare, ou comme on le lui dira à maintes occasions, son bébé.    “  J’étais tellement à fond que j’ai fait péter une corde de ma guitare.  ”  Elle se plaint, mais c’est un signe de talent que de continuer malgré tout avec une corde en vrac. Phil s’occupera de la disputer demain à la boutique, mais même lui ne parviendra pas à entacher l’ivresse d’avoir été là ce soir, et actrice active dans la destinée des Everstills ; celle dont ils s’apprêtent à discuter, puisque le contrat sort sur la table.   “ Je crois que ta décision est déjà bien prise, pas vrai ?  ”  Le sourire taquin sur ses lèvres en dit long, parce qu’elle sait très bien que tout ce que Sid attend, c’est un oui ferme et définitif qu’aucun d’eux n’a vraiment donné. C’est qu’ ils vont devoir s’y consacrer pleinement, et putain, elle a un loyer à payer. Ree n’a jamais vraiment joué avec ces choses-là de crainte de se planter, devoir demander, termine à la rue ; et son boulot au Hobgoblin lui plait, ou au moins lui convient. À la fois terrifiée et excitée par l’avenir, plus que jamais incertain, ses yeux flirtent avec les lignes du contrat qu’elle n’ose pas prendre dans ses mains. Vivre de leur musique, se produire comme ce soir, mais tout le temps, c’est un pari, certes, mais avec toutes les réactions suscitées, cette fois où les fois précédentes, c’est un signe quand même … ?   “  J’en suis si vous l’êtes tous, ”   décrète-t-elle, sans y penser, sans peser les arguments, ni dresser une liste de pour et de contre. C’est d’ordinaire ce qui l’empêche de se lancer, pour preuve : Sid, pour qui son coeur loupe un battement quand leurs regards se croisent. Dans la panique, ses yeux se posent sur Skye, sans qui elle ne se verrait pas continuer quand bien même elles se connaissent à peine, et il en va de même pour Jace à qui elle donne son sourire le plus radieux. Vrai qu’ils ne se connaissent pas tant, au final, mais l’harmonie et le destin a décidé pour eux. C’est au moins ce qu’elle veut croire : qu’ils ne sont pas là par hasard, qu’il y a un signe, un but, une mission commune.

Le rythme en parfait accordance avec la mélodie, les notes que Sid chante, celles que les filles jouent et le drum qu’il maltraite à grand coups et subtilités - ils étaient simplement en feu. Ce qui avait commencé en journée merdique et en patients qu’il n’avait pas pu sauver se terminait avec une opportunité pour lui de tout laisser de côté, mauvaises nouvelles et tracas inclus. Il a pas la prétention d’être aussi bon que lui, mais Jace se prend tout de même au jeu l’espace d’un instant, s’invente Travis Barker le temps d’un spectacle. Il y met toute son énergie - qu’il ignorait posséder à la base - et se laisse guider par l’aisance de Sid sur scène. C’est qu’il est né pour ça le type et ça se voit. Ils se donnent tous à 100% et il est fier, putain. Fier d’eux, fier de ce qu’ils ont accomplis, de ses compagnons et de leurs solos de l’enfer, tout. — J’arrive pas à y croire. La salve d’applaudissements, la remarque passe ses lippes avant même d’y avoir réfléchi comme il se doit. — de la pure folie. que Jace commente, dépassé. C’est bien l’une des premières fois qu’il saisit la grandeur de la chose, qu’il y a des spectateurs engagés, qu’il y a cette énergie de malade qui ne semble pas vouloir s’éteindre. La chimie dans le groupe est évidente, malgré l’épreuve qu’aurait pu représenter son divorce de Skye, mais ils sont des pros et il n’y a aucune trace de ses réserves face à la petite foule amassée dans le club. Les applaudissements bourdonnent dans ses oreilles, il est impressionné; par les Everstills, par la réception de leur nouvelle composition - celle de Sid, vraiment - et par ce feeling triomphant qu’il l’envahissait. Poignées de mains, embrassades en tout genre, et pluie de félicitations, de quoi se monter la grosse tête, mais non. Ils sont humbles, ça parait que c’est nouveau, mais que merde; ça fait du bien. Pour quelques heures, il oublie ses emmerdes, la journée horrible qu’il a eu au boulot, tout. Ce qui compte, ce sont ces trois autres personnes, leur public et cette musique qui les réunis tous. Il quitte le stage en dernier, à la suite de Skye, et se marre silencieusement du titre de prince des flammes. C’est qu’il faudrait être aveugle pour ne pas voir la complicité entre la guitariste et le chanteur et on le retient in extremis de passer un commentaire de plus, mettre bien en évidence cette attraction qui semblait être mutuelle. C’est qu’il est sobre et qu’on aurait pas pu l’en empêcher autrement. — Moi aussi j’ai un remède, Sid. Des shots pour tous, Jim ! Oh, oh, oh et un gin tonic aussi. Faut célébrer et il faut célébrer ça bien. Un regard narquois vers les deux futurs tourtereaux, Jim quitte sous l’hilarité du batteur qui ne parvient à retrouver un brin de sérieux que lorsque que se trouve sur la table ce fameux contrat: celui qui pourrait drastiquement changer sa vie. Jace le fixe, mais ne bouge pas. Parce que s’il pouvait ressentir ne serais-ce que la moitié de l’énergie qu’il a vécu ce soir, il signerait sans y penser à deux fois. Sauf que sans être dans le besoin, signer signifiait tout miser sur les Everstills, sous peine de potentiellement se retrouver à la rue. Pour distraire son esprit, il prend le contrat dans ses mains, s’asseois et prétend en parcourir les lignes en feuilletant le document. — Et ils disent quoi, les petits caractères, hmm ? Tout dédié qu’il était dans son acting, il n’arrive pas à réprimmer un sourire et redépose le contrat sur la table, s’enfonçant un peu dans sa chaise. — Qui est-ce que j’tente de berner, j’en suis. Le sourire est éclatant, comme un putain de gosse le matin de noël. Il tente de faire taire l’anxiété, parce qu’il ne sait pas la digérer, préfère largement l’ignorer. Ses yeux se posent sur Sid, Ree et Skye, il a confiance en chacun d’eux, sans exception. Il ne pourrait s’imaginer embarquer dans cette aventure sans l’un d’entre eux même s’il se doute que son ex femme sera la plus rationnelle du lot.  — Dans cinq ans, je prédis qu’on fera la half-time show du Super Bowl en Nouvelle Orléans, ou un truc comme ça. que le musicien déclare, presque solennel et rêvassant à une vie de star internationale. Leurs verres arrivent entre temps et Jace incline la tête vers Jim, en guise de remerciement. Il prend une gorgée qu’il savoure en fermant les yeux, puis les ouvrent à nouveau, portant sa main gauche à son coeur, détaillant les autres membres du groupe, armé de toute la sincérité du monde. — Et si on termine tous à la rue, j’achète la dernière tournée. Promesse de scout. La farce, toujours, parce que c’est mieux que de se stresser pour rien, parce qu’il a confiance en leur talent aussi, toujours. Il sait qu’ils réussiront - mais à quel prix ?