Lyla, je crois que je suis enceinte. Ou bien, Lyla, tu vas peut-être être tata. Non, affreux, impensable. Reira tourne et retourne la formulation dans tous les sens mais rien ne parvient à sortir correctement, que ce soit dans son esprit ou quand elle tente de le dire à voix haute. La seule idée qu'elle puisse l'être lui paraît encore du domaine de l'impossible. Non, peut-être pas impossible : improbable, plutôt, parce que tout le monde sait bien que la nature a une façon toute particulière de se manifester – ou de ne pas se manifester, justement – pour faire passer des messages. Reira ne peut pas s'empêcher de penser que c'est le retour de karma qui pointe son nez, pour lui faire savoir qu'elle aurait mieux fait de confesser à Lyla qu'elle couchait avec son frère jusqu'à récemment et que son mensonge par omission ne peut pas rester sans conséquence. Elle guette son téléphone toutes les trente secondes, pousse un soupir quand sa meilleure amie lui répond et passe les dizaines de minutes suivantes à se ronger les ongles jusqu'au sang parce qu'elle n'a aucune idée de ce qu'il convient de dire, ou de faire. Et puis, elle n'en est même pas sûre, de toute façon, tout ça se base sur le fait qu'elle a toujours été impeccablement réglée et n'a jamais, de toute sa vie, connu un jour de retard. Ca, et la certitude qu'ils n'ont pas toujours été très prudents avec Eliot, rend le diagnostic plutôt évident. Lyla finit par sonner à l'interphone, et Reira lui ouvre la porte de l'immeuble pour la laisser entrer. La porte de l'appartement est ouverte avant même que sa meilleure amie ait atteint le palier, et elle la presse de rentrer, l'angoisse perceptible sur ses traits d'ordinaire rieurs. Lyla a l'air au moins aussi inquiète qu'elle, peut-être parce que c'est la première fois qu'elle reçoit un message de ce genre venant d'elle et qu'elle a déjà du se faire mille et un films sur le contenu de cette discussion. « Thanks for coming so fast. D'you want something to drink ? Something to eat ? A shot of whisky ? » Elle n'est même pas sûre d'en avoir. Reira craint autant le fait de prononcer les mots à voix haute, que de devoir tout révéler à Lyla après avoir passé tant de temps à garder le secret. « Ok, first and foremost, I need to tell you something that I have kept from you for months. And just know that I'm not proud of myself for not telling you before, but I thought I could get away with this. » La stupidité de sa logique prend toute sa puissance à cet instant précis. « I've been sleeping with your brother. For months. It's over now, I've stopped the whole thing, because he's also been sleeping with Odessa and honestly, things were getting out of control and this is way more than I bargained for. But I'm late. Late as in I should have had my period a week ago and still nothing. I think I'm pregnant. And I haven't slept around, he's the only guy I've been intimate with lately, so that means I may be pregnant with his baby. » Comme toujours, quand Reira stresse, elle parle beaucoup, beaucoup trop vite. Son regard se pose sur Lyla, pour sonder sa réaction avant toute l'angoisse que de telles révélations peut provoquer autant pour elles, que pour leur amitié.

  “ Tryna get me drunk or … ? ”  C’est d’habitude plus le genre des hommes, de la bande ou non, mais elle trouve la proposition de Reira à la fois intéressante et intrigante, quand bien même elle doute profondément qu’à part du mousseux ouvert depuis deux semaines, il y ait une goute d’alcool dans l’appartement dans lequel elle se glisse. C’est de toute façon l’après-midi, et elle n’a quitté son bureau que pour le caractère urgent de l’histoire qui a l’air d’étreindre Reira. Elle refuse un siège parce qu’elle ne compte pas s’éterniser, et comprend rapidement qu’elle aurait peut-être dû s’asseoir et ne pas minimiser les chances que Reira puisse faire basculer tant son humeur que son quotidien. Les premières révélations fusent, et déjà, recueillent ses commentaires en live et en stereo.   “ My what ? ”  Her brother.   “ WITH WHO ? ”  That whore. Tout naturellement elle s’est arrêtée sur le cas d’Odessa plus que celui de Reira, mais c’est uniquement parce que l’aigreur surclasse ici le bon sens.   “ Wow, he really is sleeping with everybody, isn’t he ?  ”  fuckin’ little fucker fuckin’ fuck. Quelques années en Amérique et c’est l’hécatombe. Elle jure qu’elle s’occupera d’Eliot plus tard. Pas question d’avoir un second Jamie dans son entourage, et certainement pas à ce que son frère fasse aux autres ce que Jamie lui a fait par le passé ; et certainement pas à sa précieuse Reira. La fin parvient à calmer le peu d’ardeur inspirée par l’idée que son frère puisse devenir tout ce qu’elle exècre, ou tout simplement qu’il le soit déjà.   “ Beg your pardon ?  ”  Enceinte ? Elle se passe une main fébrile sur la joue et la bouche. Le flot d’informations devient trop, et lorsque Lyla ne sait plus quoi dire, l'heure est grave.   “ Give me a minute, while I’m having an silent stroke.  ”  C’est réellement ce qu’elle prend : une minute, avant de reprendre dans une tentative de rester calme, placide, maitresse d’elle-même et de remettre les choses dans l’ordre.    “ Honestly, the pregnancy is one thing, and I’m not ok with it, but it happens… Ye, it happens. I can… I’ll come around about that eventually. But I’m just… I mean you’ve seen me for months, and kept this from me ? Hell, I asked you the other night if there was anything, but no, nothing. I knew they were all a bunch of liars, but you ? Come on, Rei. And now you think you can ask me to come, throw all of it to my face and … What ? Elle sait que Reira n’est pas elle, et qu’elle ne peut décemment pas croire qu’elle prendra sa réaction comme elle le ferait, mais elle se sent incapable d’enrober sous prétexte qu’il en est une plus sensible que l’autre dans cette pièce. Tout ça, c’est bien trop. Il y a des choses qu’elle aurait pu accepter, d’autres qui ne passent pas.    “ I’m sorry to make this about me, I guess I’m as bad a friend as the lot of you, but god's sake... I know they lie, or just try to hide all the dirty stuff, but you’re supposed to be the one person I trust here.  ”    Guess I was wrong.    “ You sleeping with my brother… It’s weird, alright, but I could live with that, easy. Hell, I’d rather have you with him than Odessa, or anybody really, even though you’re way out of his league. Don’t tell him I said that, I love this little piece of  —  ”  Elle se coupe parce que Eliot va prendre la branlée verbale de sa vie, et là n’est pas la question.   “ See, this is why I don’t want to hang out with you people. ”  À part pour une question de nostalgie, encore que celle-ci soit violemment tachée par les mensonges qu’ils cultivent tous, Lyla voit tous les motifs d’essayer se faire la malle un par un, jour après jour.   “ Pee on a stick and tell Eliot to man up and do shit right if it’s positive, or I’m cutting this little fucker off until he gets his manners back. ”  Puisqu’il n’y a que ça qui puisse fonctionner et qu’elle est inévitablement amenée à endosser le rôle de la mère strict, leur père en étant incapable.   “ If it’s not positive, well, good on you. I have to get back to work. Don't you worry, you can handle this, and he has to or I kill him. Call me if he’s difficult or if you need anything. ”  Malheureusement, elle pense la proposition sur un aspect pratique plus qu’émotionnel.