Difficile de faire changer d'avis une femme comme Guenièvre, bien que beaucoup se risquèrent à la tâche au fil des années. Quand Erendieren était encore prospère, certaines personnes avaient encore sur elle un semblant d'autorité quand bien même elle n'aura jamais courbé l'échine que devant la sagesse et l'intelligence. Son propre libre arbitre lui suffit amplement la plupart du temps et, depuis qu'Erendieren n'est plus qu'un tas de cendres et ses proches pas davantage que quelques os laissés à l'abandon, elle a définitivement balayé les conseils qu'elle aurait autrefois estimé avisés. Pas un jour n'a passé - ou presque - sans que ne lui manquent la météo clémente d'Erendieren et l'atmosphère paisible dans laquelle elle a été bercée. Si elle a fini par se faire au froid glacial de Frostväll, ce n'est que parce qu'elle y trouvera l'espoir d'une vengeance et - quand bien même elle refusera de se l'avouer - grâce aux soirées chaleureuses qu'elle a passées avec ses deux compagnons, Arthur et Lancelot. Eux ne lui connaissent pas le nom de Guenièvre mais celui de Camilya, fille d'une prétendue famille modeste de Frostväll qui n'a rien vécu d'autre qu'une vie simple et heureuse. Ils ne savent rien de sa magie, de ses racines ou de la haine qui l'anime, quand bien même elle aura finalement trouvé de quoi apaiser son amertume lors de quelques moments d'innocence et de franche camaraderie avec ces deux hommes qu'elle sait profondément bons. Du moins Camilya sait qu'ils sont bons. Elle a pris le temps d'apprendre à les connaître, s'est même ouverte à eux à travers quelques anecdotes parfois vraies, tirées de sa propre enfance à Erendieren. Mais la Guenièvre en elle ne veut rien entendre, encore trop meurtrie par la perte de trop d'êtres chers et par une trahison qu'elle ne se voit compenser que par une autre. Adossée à un arbre glacé du Fjord, la brune aiguise prudemment un couteau - qu'elle prétend utile à la chasse mais qu'elle destine aussi et surtout à la princesse de Nighon, Bianca - trouvant dans la contemplation du Moonshae toute la sérénité dont elle a besoin pour organiser ses idées. Elle sait que le temps lui est compté : Merlin a tenté de la dissuader d'accomplir sa peu glorieuse mais nécessaire besogne, éventualité qu'elle a fermement refusé d'envisager. Lui qui l'avait côtoyée plus longtemps que quiconque n'était pas sans savoir que son obstination ne connaissait aucune limite et que si les mots de Merlin n'avaient pas su la raisonner, pas grand chose d'autre ne le pourrait. Les bruits réguliers du couteau qu'on aiguise sur la pierre se mêlent bientôt aux crissements de pas qui foulent la neige épaisse jusqu'à elle. Le regard de Guenièvre glisse des chaussures jusqu'au sommet de la silhouette de celui qui vient la déranger en cette fraîche matinée. — Good morning, lance-t-elle calmement à Arthur sans interrompre sa tâche. Guenièvre paraît bien peu vêtue comparée à lui et son air royal dans un épais manteau de fourrure - elle ne porte, elle, qu'un manteau en cuir brun qui semble certes peu épais mais qui la protège presque totalement du vent. Si elle s'attend à ce qu'il s'installe à ses côtés comme il le fait d'habitude, il reste pourtant fermement planté devant elle, l'interrompant au passage dans sa contemplation du lac. Sa langue claque contre son palais, un brin agacée par son attitude et elle suspend son geste, laissant la pierre dans une main et son couteau dans l'autre pour dévisager plus longuement les traits d'Arthur. — What's wrong with you? You look like you've seen a ghost. Plus intriguée que réellement inquiète, Guenièvre arque néanmoins un sourcil devant son air grave qu'elle lui connaît peu. Elle ne se doute évidemment pas une seconde que sa détermination n'a d'égale que celle de Merlin et qu'il aura su trouver la trace d'Arthur pour essayer de lui faire entendre raison. Et pourtant même si elle avait su à cet instant, elle serait restée entièrement convaincue que pas même lui, pourtant devenu l'un de ses plus proches amis au même titre qu'une Galinda ou un Merlin, n'aurait été capable de la faire changer d'avis.

Se réveiller entre les nichons d'une divine rousse, dans le lit approximatif d'un bordel de Rivareal n'était pas coutume pour ce conseiller de la reine de Frostväll, mais bien là un signe d'un moment bien arrosé, d'une soirée mémorable surtout. Il n'était pas de ceux qui s'empêchaient le plaisir pour satisfaire à une étiquette de bonne conduite qu'importe qui le demanderait et si Lancelot a souvent le bon jugement de le traîner jusqu'à ses quartiers pour qu'il puisse décuver en paix, ce dernier brille de par son absence. Arthur n'est rien, si pas un homme de parole et on lui rappelle à l'oreille qu'il avait promis mille et une prouesses à sa rouquine, bientôt jointe par une soeur, une cousine ou une amie ? Une blonde. Moment de passion qui s'interrompt par l'arrivée d'un type, début cinquantaine. Si Arthur n'y aurait pas pensé à deux fois, l'inconnu se place face à lui et se gratte la gorge, interrompant tout espoir de l'ignorer et de continuer de s'occuper de ses belles distractions. Arthur avait ça pour lui, qu'il était capable de présenter deux facettes de sa personnalité. L'homme aux plaisirs simples, primaux, qui ne demandait qu'à s'amuser en toute insouciance et le chevalier qui avant tout, avait une responsabilité envers son royaume. Sauf que les confidences de cet homme qu'il apprit à connaitre sous le nom de Merlin n'impliquaient pas Frostväll directement, elles éclairaient des questions qu'il ignorait avoir révélait un complot qu'il n'aurait jamais pu prévenir sans l'aide du magicien. Frustré, après lui-même surtout et son incapacité malgré un grand contrôle de ses habiletés, à déceler les pensées de Camilya, c'est brusquement et sans cérémonie qu'il promet aux filles de revenir plus tard, qu'il laisse un Merlin stoïque en plein milieu d'un bordel, enfile son manteau de fourrure et s'assure que ses armes soient sur lui. Il la connait. Moins qu'il ne le pensait, mais il la connait tout de même et sans concerter qui que ce soit, se présente face au Moonshae. Au loin, il la voit. Il pourrait presque sourire, mais les circonstances ne s'y apprêtent plus, malheureusement. — Morning. Arthur grogne à peine une salutation, peinant à garder un semblant de composition, s'arrête et se tient droit, devant son amie. Ou du moins celle qui prétendait l'être. Ce l'était pourtant jusqu'à il y a peu, un bon matin. L'air froid claque sur son visage, mais le jeune homme y était bien résistant, depuis le temps. Arthur observe cette jeune femme qu'il appréciait, trop pour croire en la fourberie dont on l'accusait. Il se renfrogne un peu plus aux prochaines paroles, puisque c'était tout comme; Arthur valorisait l'honnêteté avant tout, la loyauté avant des besoins personnels et s'il se sentait particulièrement trahi, il n'était pas là pour lui, il était là pour son Lancelot. Le brun tente encore une fois, brièvement de balayer son esprit à la recherche de réponses, mais rien ne vient, ce qui à la limite revenait à bien plus frustrant encore. S'il a vu un fantôme, non. S'il en a tout l'air ? Bien. — I don't know Guinevere. Woke up next to a gorgeous stranger this morning, got head before breakfast, it was a great start but then a strange man came at me out of nowhere with these crazy stories. Certains diraient qu'il y avait trop de détails, mais jamais pour ces amis qui se disaient tout et n'importe quoi sans tabou - ou du moins, c'est ce qu'il croyait. Les paroles de Merlin avaient fait son bout de chemin et rapiéçaient des moments qui ne collaient pas dans l'histoire de Camilya, ou plus tôt, de Guenièvre. Le premier réflexe du chevalier avait été d'aller en avertir sa reine, refusant au passage que Frostväll ne souffre d'un plan de vengeance qui ne la concernait aucunement, mais il n'en a rien fait. Le deuxième était d'avertir celui qu'il qualifiait de frère, mais à quoi bon ? Arthur avait préféré aller vérifier ses sources d'abord, mais au visage que lui offrait son interlocutrice, il sait qu'il a touché dans le mille, que Merlin avait bel et bien raison. Il n'en dit pas plus, s'interrompt dans le processus pour toiser la jeune femme de haut en bas. Arthur était un type compréhensif, mais la trahison n'avait aucune excuse pour lui. — Oh, I'm sorry. Should I have called you Camilya ? Une remarque nullement nécessaire, mais qui lui faisait du bien, sur une certaine forme. Le décors du Fjord affiche ses émotions à lui, glacial au possible, alors qu'en temps normal et ce, depuis leur rencontre, il aurait pu faire tout et n'importe quoi pour la jeune femme se tenant face à lui.

Son instinct ne lui avait jusque là jamais soufflé de se méfier d'Arthur : cette matinée marquait un nouveau tournant. Si le regard qu'il pose sur elle ne la met pas immédiatement sur ses gardes, c'est peut-être qu'elle s'est habituée depuis trop longtemps à sa nouvelle vie, au quotidien d'une Camilya moins sombre que ne l'était la Guenièvre d'aujourd'hui. Elle avait d'abord considéré Lancelot et Arthur comme rien de moins qu'un moyen de parvenir à ses fins, pourtant elle avait inconsciemment commencé à se raviser - ce qu'elle regrettait profondément à cet instant. Il grogne un semblant de bonjour et elle ne relève pas, se contentant de hausser un sourcil en attendant la suite ; parce qu'il y aura forcément une suite, Arthur traine avec lui un air trop déterminé pour s'arrêter là. Elle retient imperceptiblement son souffle quand les mots sortent enfin, sans tabou, sans retenue. Il l'appelle Guenièvre et elle frissonne à l'évocation d'un nom qu'elle n'a pas entendu depuis bien longtemps - en dehors de la bouche de Merlin du moins, lors d'une visite qu'elle avait trop vite écourtée. C'est d'ailleurs naturellement à lui qu'elle songe quand Arthur mentionne cet homme étrange venu lui raconter ses folles histoires - son histoire. Une bouffée de rage monte en elle, incapable de penser à autre chose sur le moment qu'à son plan qu'elle voit mis en péril par un Merlin trop obstiné et aveuglé par une envie de faire le bien pour voir ce qu'elle voyait elle : une opportunité de faire payer les responsables de la chute d'Erendieren. — You know, then. Son ton a rarement été aussi glacial mais il est aussi étrangement serein. Elle n'envisage pas une seconde de mentir, pas alors qu'il semble avoir trop d'informations sur elle et son passé. Elle pose prudemment au sol la pierre dont elle se servait pour aiguiser son couteau bien qu'elle garde ce dernier dans sa main gauche, Guenièvre étant gauchère. Incapable de rester assise alors qu'elle se sent soudainement menacée, elle se lève et, bien qu'Arthur la dépasse encore d'une tête ou deux, elle se sent déjà bien moins vulnérable. — 'Didn't know my entire existence was a "crazy story". Glad to know you see it that way. La tête haute, elle le jauge d'un regard impérieux et bourré d'orgueil : Guenièvre se perd dans ses réflexes défensifs et semble déterminée à désormais considérer Arthur comme un obstacle plutôt que comme le meilleur ami qu'il avait été ces derniers mois. Peut-être parce qu'elle savait s'être trop enfoncée dans ses mensonges pour songer qu'il pourrait possiblement comprendre ses décisions mais aussi et surtout parce qu'elle connaissait suffisamment l'homme pour savoir qu'il n'approuverait pas ses plans, qui plus est sachant qu'ils impliquaient Lancelot. Elle était bien trop fière pour avouer que son monde - le nouveau monde, celui auquel elle avait naïvement tenté raccrocher tout en sachant qu'elle ne le pourrait jamais vraiment - s'effondrait aujourd'hui sous le regard lourd de reproches d'Arthur. Les masques tombent et elle se sait incapable de dévoiler son désarroi, préférant se concentrer sur un problème plus urgent : s'assurer qu'il ne deviendrait pas un problème pour ses futurs desseins. — You can call me whatever you like, Arthur. I'm not changing my mind. Ferme, Guenièvre ressert sa prise sur le manche du couteau dans la paume de sa main et pose ses prunelles résignées dans celles du brun. Si elle n'avait évidemment aucune envie d'arriver à une confrontation plus " musclée " avec Arthur, elle ne s'opposait pourtant pas fermement à l'idée : elle s'y était préparée dès les premiers jours, dès qu'elle avait compris le lien qui les unissait lui et Lancelot. Elle ne serait pourtant pas imaginée si nauséeuse à la simple idée d'utiliser ses pouvoirs contre celui qui l'avait toujours soutenue, quand bien même il avait cru offrir son amitié à Camilya de Frostväll plutôt qu'à Guenièvre d'Erendieren. — You can try and stop me if you like but I strongly advise you not to. Plus de place pour le doute, la menace est cette fois-ci parfaitement assumée et son visage aux traits fermés se charge de confirmer le tout. Si elle n'avait jamais douté de ses capacités - notamment concernant sa pratique de la magie - elle n'était pas dupe pour autant et refusait de se laisser aveugler par l'arrogance : Arthur serait un adversaire de taille s'il se décidait à l'affronter pour l'empêcher de mener sa mission à bien. Pourtant Guenièvre avait un avantage certain sur lui : s'il croyait connaître Camilya, il ne savait cependant rien de la détermination de Guenièvre, quand bien même Merlin avait probablement tenté de le prévenir. Qui plus est, et parce qu'elle s'était minutieusement préparée à toute éventualité, elle refusait catégoriquement de laisser une quelconque amitié, encore moins une aussi neuve, se mettre en travers de son chemin.