Il est près de cinq heures du matin quand Fay titube jusqu'à son appartement. Rien à voir avec le fait de rentrer de soirée, ou d'avoir travaillé tard, encore que les deux ne soient pas nécessairement faux, plutôt avec son besoin maladif d'obtenir des réponses à ses questions et d'être incapable de laisser les hommes de sa vie tranquilles. Aussi, quand Nate a refusé de répondre à un, puis deux, puis sept messages avant de tenter de se débarrasser d'elle par un bref pas dispo, je t'appelle demain, Fay a vrillé. Comme elle le fait toujours, comme s'il fallait à tout prix trouver le moyen d'être visible tant de lui que des autres. Elle s'est pointée chez lui, se foutant royalement que sa femme soit en train de dormir juste à côté de lui, se foutant royalement plus encore de mettre leur mariage en danger par sa seule présence, car Fay n'a jamais eu le moindre scrupule s'agissant de ses relations sentimentales. Nate est d'autant moins susceptible de provoquer en elle un sentiment de culpabilité, du seul fait que l'enfoiré a sciemment choisi de la garder dans sa vie malgré l'anneau qu'il trimballe fièrement à son putain d'annulaire. Une petite – immense – partie d'elle a souhaité de toutes ses forces que ce soit sa femme qui décroche le portable de son enculé de mari, ou qu'elle se pointe à la fenêtre pour découvrir la silhouette hystérique de la maîtresse dans une robe trois fois trop courte, les cheveux blonds savamment décoiffés, la bouche rouge carmin qui appelle au vice. Malheureusement, Janet est restée sagement endormie et c'est bien Nate qui est sorti de chez lui, manteau sur les épaules, l'air particulièrement agacé que son abrutie d'amante soit pas capable de fermer sa grande gueule pour une fois dans sa vie. Fay ne s'est jamais offusquée d'être mal traitée – une part d'elle en tirerait même une certaine satisfaction, comme s'il fallait ça pour confirmer ce qu'elle sait pourtant déjà : qu'elle est damaged beyond repair, détruite de l'intérieur et que même cette nouvelle vie factice ne saurait régler les dommages qu'une autre vie de torture et de haine a laissés en elle. Au lieu de s'agacer contre Nate, elle s'est contentée d'en remettre une couche, un peu plus d'hystérie par dessus l'hystérie, à grand renfort de larmes, de cris, de coups de poings contre son torse pour adhérer au cliché de la scène de film. C'est un peu à ça que se résume sa vie : jouer l'actrice principale d'un film dont elle est la seule à avoir conscience, et dont elle ne réalise pas à quel point elle est rendue pathétique à vouloir trop en faire. Naturellement, comme à chaque fois, Nate a cédé et a fini par la prendre contre le mur de son jardin, excité à la fois par leur engueulade et la perspective qu'une voisine indiscrète les surprennent en pleine action pour peu qu'elle ait eu des velléités de regarder par la fenêtre. Mais, contrairement à leurs habitudes, une fois leur quickie achevé, Nate l'a quittée. Pas juste comme ça, pas avec la nonchalance qu'il utilise d'ordinaire pour lui faire comprendre que c'est qu'une passade, un moyen de la punir et/ou d'entretenir la flamme. Non, il l'a quittée en la regardant droit dans les yeux, pour lui annoncer que Janet est enceinte, et qu'il peut pas tout foutre en l'air, si bonne la baise soit-elle. Fay a senti son cœur tomber dans son estomac, la profonde envie de vomir sur la pelouse parfaitement entretenue toute la surprise et la colère mélangées en elle, et dans un nouveau torrent de larmes, a fini par se tirer alors que l'horizon commençait à s'éclairer. Tout le monde dort encore quand elle ouvre la porte : la colocation n'est jamais aussi appréciable qu'à cette heure de la nuit, quand tous s'abandonnent aux délicats bras de Morphée et qu'ils ne se prennent plus la tête parce que Luke a encore laissé la bouteille de lait vide dans le frigo. Instinctivement, c'est lui qu'elle va trouver. Fay n'a jamais aimé la solitude, et s'en défendra pourtant toujours : elle a le besoin viscéral d'être entourée de gens, d'être aimée quoiqu'il en coûte, ignorant avec une mordante ironie que dans une autre vie, elle se suffisait entièrement à elle-même. Mais à Londres, Fay n'a rien de Cora si ce n'est les blessures qu'elle continue d'arborer sans savoir comment les guérir, et elle retourne à ce qu'elle sait faire de mieux : chercher du réconfort. La respiration profonde de Luke quand elle entrouvre la porte laisse entendre qu'il est au beau milieu de sa nuit, ce qui n'empêche pas Fay de s'approcher doucement, le maquillage à moitié effacé sur son visage, ses lèvres dont le rouge à lèvres a débordé pour lui donner l'air d'une pauvre fille post walk of shame. Ce qui est exactement le cas. Elle repousse la couverture pour se glisser dans le lit de Luke avec la même innocence que d'ordinaire. « Hey. You asleep ? » murmure-t-elle à son oreille. L'absence de réponse est éloquente, et si ce n'est pour un grognement, elle pourrait tout aussi bien s'adresser à une peluche. « C'mon. I had a rough night. I need to unload. » Et parce que Luke ne lui refuse jamais rien, elle le sent se tourner vers elle : sa respiration est moins lente, signe caractéristique qu'il est éveillé. « Nate broke up with me. » Pas de préambule, pas de mise en contexte, juste la vérité absolue et tranchante pour résumer la soirée de merde qu'elle a vécue.

Avec un horaire aussi chargé, et surtout sporadique que le sien, Luke se retrouvait bien souvent avec une habitude de sommeil massacrée. Se lever à une heure du matin ou à une heure de l'après midi n'était pas inusuel et ses longues heures de travail autant de jour que de nuit. C'est donc après une longue, longue soirée et nuit à répondre aux appels urgents et à faire des aller-retour vers l'hôpital que Luke s'était élancé dans son lit vers trois heures du matin et s'était endormi dans la foulée, profitant d'un sommeil du juste - comme une roche. Il ne rêvait pas, il ne rêvait jamais - outre lorsque le cauchemar concernant sa jambe lui revenait plus vivifiant que jamais. Étrangement, ce n'était jamais de l'accident qu'il rêvait, mais bien d'une jambe sectionnée par un père - qui semblait être le sien - et le sentiment de trahison qui s'ensuit. Cette nuit ne fait pas exception et le cauchemar reste plus virulent que jamais. Il y a cette lame, puis une douleur lancinante et enfin, un liquide de couleur carmin en abondance. Comme toujours, il ne peut échapper ni à la douleur, ni à son "père" ou à ce cauchemar qui hante ses nuits au moins une à deux fois par semaines. C'est un courant d'air frais vers sa jambe qui atténue un peu sa douleur, qui lui redonne un contact vers le monde éveillé. L'air qui passe à travers les couvertures et c'est bien ce qui l'arrache un tant soit peu à son cauchemar, à ce qui le paralyse et enfin, change les désillusions de son esprit. Habitué de dormir dans une fournaise, les frissons qui parcourent son échine ne sont causés que par une seule et unique personne, mais impossible qu'elle - Hey. You asleep ? - Ah, there it is. Par Fay Moriarty uniquement et cette vilaine manie qu'elle avait de le rejoindre dans son lit. Luke émet un grognement, resserre les couvertures contre son torse. Elle ne l'aurait pas, pas aujourd'hui, pas alors qu'il avait tout au plus dormi deux misérables heures et qu'il devrait renter au boulot en mode zombie, mais elle insiste et c'est bien parce qu'il est incapable de lui refuser quoi que ce soit que le jeune homme se retourne d'emblée vers la blonde, les yeux toujours fermés savourant les dernières secondes de liberté avant de constater que ses yeux brûlent et qu'il a cruellement besoin de sommeil. — You do look like shit. C'est dit d'une voix endormie, un petit sourire qui se veut réconfortant accroché à ses lèvres. Il pouvait voir que son mascara avait coulé, ne pouvait qu'imaginer ce qui l'avait mis dans un pareil état. Luke passe un bras autour de la jeune femme, caressant le sien doucement au passage. La raison de sa présence dans son lit s'explique rapidement, sans préambule et Luke a envie de crier bon débarras. Nate ne méritait pas Fay, c'était un fait. Peu de gens la méritait selon lui, mais il n'avait après tout pas le jugement le plus neutre en ville. Outre la reconnaissance qu'il avait à son égard puisqu'elle lui avait proposé un logement suite à sa convalescence et parallèlement la fin de sa carrière sportive, il n'était secret que de elle qu'il en était un brin entiché, si pas beaucoup. — So you guys broke up for the gazillionth time. Luke répète, adapte à la réalité de cette relation qui le dépasse totalement. Il ne s'agissait que d'une passe, et malgré toute l'affection qu'il portait à sa colocataire, il savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne retourne vers lui. Il ne peut s'empêcher la remontrance dans son ton, alors qu'il est à peine réveillé et qu'on demande de lui plus de support que n'importe qui s'autoriserait à lui demander à une heure pareille. — Sorry. Cranky. Sleepy. qu'il soupire, en se pointant lui-même du doigt et en fermant les yeux un bref instant. Il n'a pas envie de poser la prochaine question, il a envie qu'elle cesse de choisir les mauvais types, mais c'est plus fort que lui, parce que le reste ne se prononce pas, parce que ça ne changerait rien de toute façon. Le brun ouvre de nouveau les yeux, pour retrouver ceux peinés de Fay. Toujours appuyé contre son oreiller, Luke dégage une mèche du visage de la jeune femme, lui offre un regard qu'il ne donne qu'à peu de gens, un regard tendre qui mine de rien, se soucie d'elle. — You wanna talk about it ? He really didn't want to know, mais peut-être que ça lui ferait du bien à elle, et c'est tout ce qui lui importait.

Elle étouffe un rire épuisé à la remarque de Luke. Oui, elle ressemble à rien, avec son maquillage qui a coulé, ses larmes qui ont creusé des sillons dans le fond de teint, ses lèvres gonflées dont le rouge continue de s'échapper en trainées tout autour de sa bouche. Mais auprès de Luke, Fay ne se donne jamais la peine d'être autre chose que ce qu'elle est réellement, une fois les artifices retirés : une sale gosse, paumée, malheureuse les trois quarts du temps, qui clame toute sa confiance en elle devant les autres pour mieux chialer une fois livrée à elle-même. « I know... » souffle-t-elle avant de trouver une position plus confortable, le bras de Luke autour d'elle. A-t-elle seulement conscience de ce qu'elle fait, à toujours venir le trouver dans son lit ? Sait-elle que l'affection qu'elle éprouve pour lui n'est pas tout à fait celle qu'il éprouve pour elle ? Une part d'elle le sait, parce qu'elle est beaucoup de choses mais pas stupide au point d'ignorer qu'il ne la regarde pas de la même façon que les autres, qu'il tolère de sa part bien plus qu'il ne tolère de n'importe qui d'autre. Mais cette part-là, prompte à culpabiliser de profiter de ce qu'elle devine être des sentiments pour elle, s'éclipse sitôt que sa voix réconfortante s'élève, ou qu'il la prend dans ses bras sans jamais chercher quoi que ce soit de plus. Luke est celui vers lequel elle se tourne quand tout se casse la gueule, parce qu'il est toujours là, ne lui demande jamais plus que ce qu'elle peut lui donner, même si c'est pour le laisser dans une friendzone dont elle profite allègrement en distillant juste ce qu'il faut d'intentions pour qu'il ne se lasse pas de cette situation. « It's different this time » répond-elle en réprimant un sanglot. Et non, ce n'est pas la première fois qu'elle le dit, mais c'est la première fois qu'elle en est aussi intimement convaincue. « His wife's pregnant. » Et ça change tout. Parce que s'immiscer dans un couple marié est de toute évidence acceptable pour elle, mais pas s'il y a un enfant en jeu. Ses propres parents, tout aussi mariés soient-ils, sont misérables dans leur relation et Fay sait – pour l'avoir surpris – que son père n'a pas été un modèle de fidélité. De là à imaginer qu'il ait fait un gosse dans le dos de sa femme, il n'y a qu'un pas qu'elle franchit allègrement. Fay ne sait que trop bien ce que ça fait, d'être l'enfant qui ne parvient pas à ramener l'étincelle dans un couple qui se meurt, et c'est sa bonne action du moment de laisser une chance à ce mariage de fonctionner. Nate n'est pas vraiment amoureux de sa femme, mais il y est attaché, assez pour ne jamais avoir voulu la quitter pour Fay. Son intérêt pour elle réside uniquement dans le piment qu'elle offre, dans son côté passionné, passionnel même, dans l'excitation de l'interdit qu'elle incarne si joliment. Une fois débarrassés de ces circonstances, Fay n'est rien de plus qu'une distraction dont on se lasse, une névrosée extrême, hystérique la moitié du temps, insupportable l'autre moitié. Alors cette fois, elle le sait, la rupture est définitive. « He wants to give his marriage a fighting chance and the baby changes everything. » Elle a la voix morose, tremblante, même quand Luke passe une main pour remettre une mèche de cheveux derrière son oreille avec toute la douceur dont il est capable (au moins auprès d'elle). Fay sait qu'il n'a pas la moindre envie de connaître toutes les coulisses de cette séparation, mais elle n'est rien, si pas profondément égoïste dans ses sentiments, si bien qu'après une brève seconde d'hésitation, elle saisit l'opportunité qu'il lui donne. « It's just... it's like I'm programmed to fall for the wrong guy, every-bloody-time. I'm merely a distraction, banging body, feisty attitude to boot. » Elle laisse échapper un soupir, ses doigts caressant distraitement le bras de Luke. « Nate and I... there's this sexual chemistry, we work so well together. Even today, when we broke up, he fucked me and it was phenomenal. But I'm never, ever, the one you leave your wife for. » Sa voix se brise, lasse de n'avoir que les mêmes histoires à raconter à chaque fois. Sa vie est une succession de mauvaises décisions, de compenser sa faible estime d'elle-même en offrant ce qu'elle a de mieux – son corps – et ne pas comprendre quand il s'avère que ça ne suffit pas. « Why do I keep doing that Luke ? Why can't I find a decent guy and actually fall for him ? » Elle ancre son regard dans le sien, consciente de l'ironie de ce qu'elle dit quand le decent guy par excellence la tient dans ses bras. « Sometimes I feel like I'm cursed. » Comme si d'avoir trop aimé dans une autre vie rendait impossible tout espoir d'aimer correctement dans celui-ci.

— How so ? Pourquoi cette fois-ci et pas les autres, phrase qu'il aura entendu trop souvent pour y croire réellement, mais le reste de la révélation le prend de court. Sa femme est enceinte, évidemment. Il pouvait comprendre pourquoi c'était réellement  terminé, sans pour autant écarter les probabilités que monsieur n'en a rien à foutre et qu'il recommencera dans quelques mois quand sa dite femme sera trop grosse ou bien trop remontée pour lui donner quoi que ce soit. Luke garde ses commentaires pour lui, comme souvent avec Fay, concernant les mecs douteux qu'elle fréquentait. Il a demandé et c'est sans surprise qu'elle obtempère, lui donnant les détails de cette rupture avec tous les détails nécessaires. Il n'a vraiment pas envie d'en entendre plus. Il se retient de toute ses forces afin de ne pas ajouter, geez, wanna tell me how he fucked you six ways from sunday and that you loved every minute of it ? Il n'était ni d'humeur à se prendre la tête, ni d'humeur à s'engager dans une conversation qui ne se terminerait pas en son sens à lui. Elle était son amie. Sa colocataire et si les lignes étaient floues - du moins, pour lui - elles ne semblaient pas l'être pour Fay, alors Luke fait semblant d'avoir suivit tout ce qui venait après les fabulations de leur incroyable chimie sexuelle. De ce qu'il en avait compris, l'essentiel surtout, il ne pu s'empêcher de remettre les pendules à l'heure, ne serais-ce que tenter de lui faire comprendre pourquoi. — Do you hear yourself, though ? doux, il essaie de lui faire remarquer les contradictions de ce qu'elle désire, de ce qu'elle attire et de ce qui lui revient au final. — 'Never the one you leave your wife for ?' Why would he leave her ? He's getting laid and has a wife that takes care of him, loves him or whatever. Ce type avait littéralement le meilleur des deux mondes. Une nana soumise à la maison et la passion inégalée d'une maîtresse. Le fait que la première soit enceinte ne fait que le soulager que ce ne soit pas la deuxième qui se retrouve dans cette situation. Les chances étaient qu'il n'aurait pas pu la tolérer une seconde de plus entre ses draps, si ça avait été le cas. Déjà que savoir qu'il y a quelques heures à peine, ce pauvre type y allait allègrement de coups de reins avant de briser le coeur de son amie une bonne fois pour toute ne l'aidait pas à contenir un semblant de nausée. — Would you want him if he was single, free and/or available ? probably not. — or would you be bored out of your mind ? beaucoup plus probable oui, à voir la petite liste des prétendants depuis qu'il avait emménagé dans cet appartement. Ses yeux traînent sur le visage de Fay, puis sur ce qu'il pouvait voir de peau à travers les faibles lueurs que la lune pouvait bien leur apporter dans sa chambre. Elle a besoin de réconfort, alors il mettrait ses propres pulsions, envies, espoirs de côté. Pour elle. Toujours pour elle. Il la prend dans ses bras, la laisse reposer sa tête contre son torse. Hors de son champ de vision, il observe le plafond, soudainement bien plus éveillé qu'il ne l'était cinq minutes plus tôt. — Beats me. Il n'avait aucune réponse qui ne serait pas acide à lui offrir. Il ignorait pourquoi elle évitait tout choix évident pour se retrouver dans un type de relation tout à fait impossible. Aucune idée du pourquoi elle continuait ainsi tout en étant parfaitement consciente du problème. Il rencontre le regard de Fay, refuse d'y laisser transparaître le tumulte d'émotions qui le parcourait à l'instant précis. — Nonesense, nobody is really cursed. well, maybe me for loving someone like you, but no, no curse. Just dumb feelings all over the place. — Why do you even need him ? He clearly doesn't care about anybody, except himself. He had no respect for you, has no respect for his wife nor his future baby. What is it with that guy ? Si sa phrase s'était commencée dans toutes les bonnes intentions du monde, sa frustration envers ce Nate était palpable, voir une pointe de frustration envers Fay également. Il n'en rajoute pas, ni fait signe que ça l'atteint plus que ce qu'il montre. Luke avait cette capacité déconcertante à cacher à peu près n'importe quoi sur son visage. Il ne l'utilisait que rarement sur sa colocataire pour ce qu'il avait toujours été plus ou moins transparent avec elle.

Fay marque un temps d'arrêt sitôt que Luke utilise ce qu'elle ne réalisera que bien plus tard être l'argument le plus cohérent qu'il lui ait jamais sorti. Pourquoi Nate quitterait sa femme pour elle, quand il peut avoir le meilleur de deux mondes et l'impunité qui va avec ? Pourtant Fay fronce les sourcils, déboussolée par une question à laquelle elle n'a aucune réponse à apporter – aucune qui ne la satisfasse du moins. Elle garde le silence de longues secondes, incapable de trouver quelque chose à rétorquer, jusqu'à ce qu'enfin elle ne prenne une inspiration, comme pour se donner du courage face à l'absurdité de ce qu'elle s'apprête à dire. « Because he should be loving me. I am giving him everything and that's still not enough. » Et tout le problème réside dans la logique confuse de Fay : elle lui donne tout, et plus encore. Pas seulement son temps, mais aussi son attention, son affection, parfois son amour, sa colère, ses frustrations, son corps. Et pour la première fois, elle en vient à réaliser que lui ne lui donne rien, qu'il n'y a jamais eu d'équilibre dans cette relation et que c'est précisément ce qu'elle cherchait. Une relation où elle pourrait tout donner et se plaindre de ne rien recevoir, une relation où la balance pèse en sa défaveur pour trouver encore des arguments qui justifient de ne pas s'investir pleinement dans une histoire. Fay cherche la brèche et s'y engouffre, s'esquinte le cœur souvent, assurément, mais y prend un plaisir qu'elle ne trouverait nulle part ailleurs : elle ne cherche pas l'amour, elle cherche seulement l'intensité, la passion, celle qui lui tord le ventre, lui fait mal en permanence, celle dont elle se plaint mais qui l'obsède, et fait qu'on ne la verra jamais au bras d'un type bien. Les paroles de Luke font écho aux pensées qui lui traversent l'esprit, et si une part d'égo lui répondrait bien que oui, elle pourrait, elle sait pourtant au fond d'elle que ce serait un mensonge éhonté : elle se lasserait. Peut-être même avant que l'histoire n'ait vraiment débuté ; elle se lasserait. Nate, s'il était disponible, ne serait rien de plus qu'un énième mec à foutre sur la liste des recalés, et l'intérêt qu'elle lui porte actuellement s'évanouirait en un instant comme un pétard mouillé. Que ferait-elle d'un type ayant quitté sa femme pour elle, vraiment, mis à part le trainer comme un fardeau à son bras, condamnée à le garder après tant de sacrifices, incapable de l'aimer mais parfaitement capable de nourrir de l'amertume, qui deviendra rancoeur, jusqu'à le tromper avec tout le monde et n'importe qui pour l'obliger lui à la quitter. Fay est un condensé d'égoïsme et de lâcheté, et ce n'est jamais plus flagrant que dans ses relations sentimentales. « No I probably wouldn't » concède-t-elle, agacée de devoir donner raison à son colocataire. Elle s'enfonce à nouveau dans le silence, seulement entrecoupé des battements de son cœur résonnant contre le torse de Luke, et sent la fatigue qui la gagne après la retombée d'adrénaline. Luke a raison, bien sûr : en bonne femme indépendante du 21ème siècle, Fay Moriarty n'a besoin de personne, personne qui la traite mal du moins ; elle serait la risée des féministes, à chercher systématiquement la toxicité tout en s'en défendant. On lui dira qu'elle n'a pas besoin d'un homme pour être heureuse, et elle hochera la tête en signe d'assentiment, tout en sachant au plus profond d'elle-même que c'est faux. Misery loves company. Sa haine d'elle-même est invisible aux autres, mais elle la ressent en permanence, la laisse guider toutes ses décisions sentimentales. Il est toujours plus simple d'haïr les autres et de leur faire porter le poids de ses propres névroses, plutôt que d'accepter qu'on ne sera jamais qu'une fille endommagée sans raison, une pauvre petite fille riche que personne de sensé n'irait plaindre. Elle a tout pour elle, et tout ne lui a jamais semblé si peu. « He... gives me a way out. » répond-elle enfin, honteuse de l'aveu. « I put everything in this relationship because I know it's never gonna be anything more than a good fuck. » Elle relève la tête, pose son menton sur l'épaule de Luke et plonge son regard dans le sien. « Would you still love me if I wasn't such a mess ? Be honest, Luke. Would you ? Of course not. » C'est la première fois qu'elle mentionne à voix haute les sentiments qu'il a pour elle, qu'il sait qu'elle sait. « You want me because you want to fix me but you're too late. » Elle lui offre un sourire triste, dépose un baiser léger sur son épaule. « I'm sorry that I can't give you what you want. »

Le jeune homme ne ressentait plus du tout les effets de la fatigue. Entre les confidences et les réactions, bien trop réfléchies pour un type qui venait tout juste de se lever, Luke n'y voyait pas vraiment clair, véritablement perdu face à la logique de cette nana. Fallait pas s'y méprendre, il l'appréciait plus que quatre-vingt-dix pour cents de ses connaissances, mais il ne faisait que constater qu'elle ne ferait que continuer à le prendre de court, continuer à l'étonner. — Then why are you so sad ?, c'est soufflé à mi-voix, pas voulu pour être méchant, mais bien pour comprendre puisque véritablement confu. Les traces de larmes trahissaient des sentiments qui ne concordaient pas avec l'analyse qu'elle faisait de sa propre situation. I could give you a good shag, better than he ever would or could, pensé, mais jamais dit à haute voix, puisque ce n'était pas ce qu'il recherchait d'elle. Sure, elle avait un cul à se damner, mais il avait toujours voulu bien plus et ne s'autoriserait jamais à de telles escapades, intimement convaincu qu'il s'agirait d'une fin, et non pas d'un nouveau départ. Elle touche le sujet sensible, celui qu'ils connaissent tous les deux tout en faisant le judicieux choix de tout garder sous silence. Jusqu'à présent. Luke se tend un peu, ignorant même comment répondre à une question pourtant si simple. I would. — No, I probably wouldn't. qu'il lance, une trace de moquerie dans la voix, pour masquer ce qu'il pensait vraiment. Pour leur part, ses yeux sont sérieux, démentent ce qu'il vient de dire et il détourne le regard vers le haut là où elle ne peut le voir, afin d'éviter de se trahir. Il ne l'aimait pas parce qu'elle était 'a human hot mess', il l'aimait pour ce dont il avait été témoin ces cinq dernières années. Une Fay sans prétention, elle-même, derrière ces barrières qu'elle pouvait bien ériger pour se protéger de tout et n'importe quoi. Dans cette colocation, il était difficile de cacher qui on était vraiment, la blonde, tout comme lui, n'y échappaient pas. Luke ferme les yeux, alors que les lippes de la jeune femme frôlent son épiderme. — You don't need me to try and fix you, you need a friend who's gonna be there and I'm okay with that. qu'elle ne s'excuse jamais d'être honnête avec lui et surtout, il ne la voulait pas ainsi. Pas par forfait, pas à cause d'un pauvre type et des issues qu'il était capable de déterrer. Non. Il était capable d'être l'ami dont elle avait besoin, le roc dans la tempête sans avoir besoin de plus. — Being sorry doesn't look good on you. Stop it. Luke s'était détaché de Fay pour se coucher sur un côté, tête sur l'oreiller relevée à l'aide d'un de ses bras. La blonde l'imite dans la foulée et ils se retrouvent face à face. — I wouldn't be here if I didn't want to be. I might not have what I 'want' like you say but I got what I need. And that's more than enough for me. un sourire sincère franchit ses lippes, parce qu'il l'était, sincère. Il crevait peut-être d'envie d'avoir plus, d'avoir Fay complètement, mais il était étrangement en paix avec l'idée qu'elle n'était qu'une amie. Une partie de lui espère surement que le temps fera bien les choses, mais il reste totalement sérieux; à travers les folies de leur appartement, de la colocation, elle faisait partie de ce peu de gens qu'il appréciait, elle avait sa confiance. Même s'il la désirait plus qu'il ne s'autorisait à le montrer - bien que quelques situations auraient pu être gênantes, entre elle qui débarque sans prévenir dans son pieu et les quelques fois où il se sera réveillé au garde à vous - Fay était une amie. Une très bonne amie, une de qui il pourrait tomber éperdument amoureux, mais une amie tout de même. — But maybe refrain from saying things like 'he was the greatest bang of my life' or whatever. Too soon, Moriarty. Une grimace se peint contre son visage, mais elle est vite remplacée par un sourire, parce qu'il est incapable d'être vexé de manière définitive, pas auprès d'elle. Luke laisse le silence s'installer, retournant à une positition plus naturelle, serrant Fay contre lui doucement, appuyant le bas de son visage contre le front de la demoiselle. Il commence à sentir la respiration de la blonde se régulariser et Luke bouge un peu, histoire de déterminer si elle était entrain de s'endormir pour de bon. — You just woke me up, you're not gonna fall asleep on me, are you ? Hellllll no. Il voit bien qu'elle est plus ou moins là, entre conscience et rêve, et il mentionne la première idée qui lui vient à l'esprit, histoire de la réveiller, de provoquer une réaction. — I got a girl pregnant. si pas ça, pas grand chose lui ferait ouvrir les yeux.

« Just... because. » Elle n'a pas de raison particulière d'être triste, elle l'est seulement, le flot d'émotions est confus dans son esprit comme il l'est à chaque fois parce que Fay ne raisonne pas comme une fille censée ; elle préfère se laisser guider par l'instantanéité de ses sentiments plutôt que de chercher à comprendre pourquoi elle ressent ce qu'elle ressent. « I guess deep down a part of me wishes someone would try to hold me back and beg me to stay. » Clairement, Nate ne remplira pas ce rôle pour elle à présent qu'il a décidé que devenir père était l'ambition de toute une vie. C'est sorti de nulle part et ça l'emmerde, Fay, parce qu'elle aimait bien leur dynamique pile dans ce qu'elle sait faire de mieux. Rien ne dit qu'il ne reviendra pas à la charge dans quelques jours, déjà lassé de ne plus l'avoir dans ses draps quand Madame travaille, lassé aussi de ne plus subir ses crises et sa passion, puisqu'elles vont de paire. Mais leur échange a eu un goût de véritable fin, si bien qu'une part d'elle déjà s'est résignée à ne plus jamais le revoir. « See, that's what I mean. We want what we can't have, you because you want to fix me, me because I want the meaningless thrill. » Elle n'a pas compris qu'il ne pense pas un mot de ce qu'il vient de dire, trop captivée par sa propre histoire pour accorder de l'attention aux émotions de Luke et cela, même si c'est la première fois qu'ils abordent ce sujet. Fay se demande pourquoi elle s'est jamais donnée la peine de le mentionner plus tôt alors que ça crève les yeux depuis... bien trop longtemps. Elle se demande aussi pourquoi il a jamais rien tenté alors que les opportunités n'ont pas manqué, pour toutes ces fois où elle est venue se glisser dans son lit au beau milieu de la nuit. Est-ce qu'elle le repousserait, s'il tentait quelque chose ? Elle laisse son esprit divaguer sur la question, conclut mentalement qu'elle peut rien exclure parce qu'elle est elle et répond toujours à l'impulsion du moment quitte à regretter plus tard les conséquences. Luke joue les mecs matures, capable de vivre avec toute la dignité du monde son statut d'ami relégué dans la tragique friendzone comme si ça n'avait aucune importance. Elle en serait presque vexée, Fay, qu'il fasse même pas l'effort d'essayer de la séduire, mais se raisonne rapidement : c'est une chose de connaître ses sentiments pour elle, une autre de le promener en lui faisant miroiter un truc plus profond que leur amitié et peut-être, un jour, une baise ou deux. Elle sait déjà qu'elle sera jamais capable de lui rendre, parce que c'est un type bien – définitivement trop pour elle – et qu'elle les aime endommagés comme elle et plutôt penchés sur l'optique de lui faire du mal que de lui faire du bien. « How mature » elle raille, le ton boudeur. « What you need... Pff please. Why bother with ennemies when you have friends like me in your life... » Fay lâche un soupir, mélange de lassitude et de fatigue maintenant que la nuit s'apprête à céder la place au jour et qu'elle n'a pas encore fermé l'oeil. Elle offre un sourire d'excuse à Luke et juge que la requête est fair : peut-être parce qu'elle l'a jamais considéré de cette façon, elle n'a jamais ressenti le besoin de faire attention à ce qu'elle dit face à lui. Elle est brutalement honnête, cash dans tout ce qu'elle raconte y compris lorsqu'il faut présenter avec force détails ses dernières histoires comme si préciser la position apportait un élément de contexte à l'importance capitale. « Doesn't that turn you on a little bit, though ? » elle demande, amusée. Est-ce qu'il s'imagine parfois à la place des Nate, à goûter à sa peau délicate et se nourrir de ses râles ? Peut-être que c'est juste elle, qu'elle est trop fucked up et qu'il l'envisage pas comme ça. Mais Luke, pour tout l'amour qu'il croit lui porter, il reste un homme et elle peut pas imaginer qu'il ait pas fantasmé des dizaines de fois sur ce que ça pourrait donner. La fatigue s'installe définitivement, bienvenue après la nuit qui l'a drainée de toute énergie, et elle trouve une position confortable installée entre les bras de son colocataire. Peu à peu, elle sent qu'elle dérive, s'enfonce dans la douceur cotonneuse du sommeil et tous ses efforts pour lutter sont vains ou lui arrachent des sursauts d'électricité alors même qu'elle commençait à rêver. « I'm not asleep » prétend-elle mais elle a du mal à articuler. Au moins jusqu'à ce que Luke balance une bombe et l'extirpe définitivement et à regret des bras de Morphée. « You did what ? Spill the tea, Davyan. »